Pan pleure pas n’est pas un film mais un programme. Plus précisément, la réunion de trois courts métrages de l’Américano-portugais Gabriel Abrantes. Jeune, stakhanoviste, globe trotter, il étoffe chaque année depuis huit ans une filmographie qui ne semble suivre aucune logique sinon celle d’un art du récit en bourrasque, où les genres se mélangent, où les chromos se chiffonnent comme des boules de papier, et où le rire — c’est heureux — semble s’assumer de plus en plus. Soit, ici, Liberdade (co-réalisé avec Benjamin Crotty), Taprobana, Ennui ennui : trois blockbusters tournés comme des documentaires, composant bout à bout une sorte de serial altermondialiste. D’un film à l’autre, c’est une même incongruité qui se propage en ondulations et crépitements : une romance du tiers-monde démarre en trombe par un braquage pour du Viagra (Liberdade) ; un grand poète portugais émigre à Goa, philosophe pendant une fellation, puis échoue dans un purgatoire hollywoodien (Taprobana) ; la fille d’Obama est un drone en pleine crise d’adolescence, explosant au milieu du ciel après avoir percuté un marcassin (Ennui ennui).
Au carrefour des époques, des langues et des cultures, ce bouquet pétaradant est l’occasion de découvrir une manière prodigieuse de faire sourdre l’émotion à la surface de l’absurde. Amplifiant par le rire les grands maux du siècle, le cinéma d’Abrantes s’emploie à échafauder aux quatre coins du globe des petites bulles fictives qui s’apparentent autant à des entreprises de détournement qu’à de sidérantes machines à récit. Sans aucun effet de signature ou de distanciation, le film arty fraternise avec l’actionner, la globalisation se pulvérise dans la poésie, et le spectacle hollywoodien, invoqué au coeur de décors naturels stupéfiants, se déforme au gré des détonations lubriques et loufoques. En braquant ainsi sa caméra sur le cinéma mainstream, nul doute qu’Abrantes cherche surtout à en faire passer les codes au détecteur de mensonge, comme il nous le confirme dans l’entretien qu’il nous a accordé. Pour quelle vérité ? Celle d’un monde contemporain où la libido ne s’avère plus, au fond, que le revers intime d’une panique généralisée.