1 : Le projet
Comment est venue l’idée de la game-jam ? Et pourquoi une game-jam, plutôt qu’un seul gros jeu par exemple ?
C’est une manière de faire en un temps limité plein de choses différentes. Faire un gros jeu sur une courte période c’est compliqué, ça prend forcément du temps, tu es obligé de mettre une grosse équipe dessus. Surtout, ça ne donnerait qu’une seule vision du jeu. Alors que l’avantage d’une game-jam, c’est que tu peux imaginer plein de choses différentes. Et là ça serait vraiment l’idée, sur les 48 heures de la durée de l’événement, qu’on fasse 12 jeux qui n’ont potentiellement pas grand-chose à voir les uns avec les autres. Ils vont utiliser la même base, mais ça nous permet de montrer que dans le jeu vidéo, on peut faire du sérieux, du narratif, du joli, etc, plein de choses afin de montrer un échantillon de ce qui est possible.
Tu es accompagné dans ce projet par la compagnie Rog Films, que peux-tu nous dire sur eux, sur quoi ont-ils travaillé auparavant ?
Rog Films c’est un regroupement de plusieurs personnes qui proviennent d’univers différents et Pixel Heart est leur premier gros projet, puisqu’ils se sont montés en même temps que je le lançais. Je les ai rencontré au moment où ils finalisaient l’entreprise. Mais avant ça, ils ont fait plein de choses les uns les autres. Principalement, ils proviennent d’un collectif qui s’appelle SpanKidz, qui fait du clip et du court-métrage. On y trouve plein de styles, des choses un peu what the fuck, globalement c’est très varié. Ils voulaient se lancer dans la fiction et dans le documentaire, c’est là qu’ils ont décidé de monter Rog Films sous l’impulsion de Franck Gombert qui est le réalisateur de Pixel Heart. Il réalise des documentaires depuis dix ans, c’est la personne expérimentée du projet. Il s’est illustré dans des docus d’exploration ou de voyage, maintenant c’est un des réalisateurs de l’émission On n’est pas que des cobayes sur France 5. Il a aussi été premier rédacteur de l’émission Vue du Ciel.
Quelle atmosphère espères-tu capturer dans ton film ?
On aime bien l’expression de road movie documentaire. On espère vraiment donner un côté très vivant, chasse au trésor, que ce soit une quête autour du monde, pas simplement une succession de portraits. On pourrait se contenter d’aller voir six créateurs de jeux vidéo et d’entrer dans leur univers. Mais on met en avant cette idée de quête, on va faire des portraits croisés, quelque chose de très dynamique. On veut aussi s’introduire dans la culture de chaque pays. Donc forcément, le portrait d’un créateur au Ghana ne sera pas du tout la même chose qu’au Chili ou au Japon. Parce qu’ils sont tous très marqués par leur culture, leur pays, leurs traditions aussi. On a envie que dans chaque petite partie, dans chaque portrait, se dégage quelque chose de vraiment typique qui corresponde à l’atmosphère de la nation, tant au niveau musical que de l’univers, etc. Au niveau des jeux créés également, puisque Tetsuya Mizuguchi par exemple fait des jeux purement japonisants avec une esthétique et une musique japonaise. Tandis qu’au Chili, c’est la culture sud-américaine qui transparait. Tout cela on veut que ce soit retranscrit dans le film, à l’image, dans la narration. Au Ghana on va dans une ville qui fourmille, qui va à 2000 à l’heure, on veut que ça se ressente dans le montage, dans la manière de retranscrire.
Au final, Pixel Heart en cherchant à court-circuiter le discours marketing pour se rendre au plus près du créateur a une approche très journalistique. Tu te considères plutôt comme un journaliste d’investigation ou comme un aventurier du jeu vidéo ?
Bonne question. C’est un peu les deux parce qu’il y a une approche journalistique en effet. On a envie de montrer des aspects sous-exploités du jeu vidéo qu’on ne montre pas assez : les personnes, la démarche culturelle, les créateurs en eux-mêmes, le processus humain de création. Donc il y a vraiment une approche journalistique, mais on adopte aussi une approche explorateur du jeu vidéo avec un certain angle. On n’a pas du tout une approche exhaustive, on ne peut pas prétendre que dans notre film on va expliquer tout ce qu’est le jeu vidéo, c’est pas notre ambition. On veut montrer une tranche de ce processus tout en laissant au spectateur la possibilité de vivre un voyage qui permettra de lier l’expérience.
Pixel Heart est un projet transmédia, avec un film, un webdoc, une game-jam et une exposition de prévus. Après les bons succès d’estime mais échecs populaires des projets de Lexis Numérique comme Alt-Minds, et le relatif engouement de la communauté pour Pixel Heart, le transmédia est-il assez sexy pour se vendre ?
Très bonne question. Au début, on a présenté tout ça comme un projet transmédia. Quand tu vas le vendre sous cette forme à des mécènes, pour eux ça sera très sexy, pour le public, ça l’est beaucoup moins. Lui, il va préférer qu’on lui dise qu’on se concentre sur un média tout en lui annonçant qu’on fait un film de malade, des jeux de malade, une expo, etc. Mais dès que tu invoques le transmédia, c’est un peu obscur. C’est un terme qui n’est pas encore rentré dans les habitudes. Les gens vont bien comprendre une énumération, mais pas un terme qui englobe tout, parce que transmédia ça veut tout et rien dire à la fois. Donc maintenant dans la communication, à part pour des spécialistes, on évite de l’évoquer comme un projet transmédia, on utilise plus le descriptif. Sans compter que le transmédia en France, pour l’instant, c’est cantonné à des petits projets. Du coup venir dire « il manque beaucoup d’argent pour un projet transmédia », on va te répondre « transmédia, c’est quoi ? Un projet iPhone ? ». Ce n’est pas forcément le cas, et ça les gens ne l’ont pas encore incorporé.
2 : L’auteur
Quel a été ton parcours en tant que développeur ?
J’ai fait une école de jeu vidéo qui s’appelle l’ENJMIN, j’ai bossé un peu dans la presse spécialisée, j’ai touché plein de choses qui ont trait à ce médium. Mais ce qui m’intéressait, c’était de voir l’envers du décor. Le développement c’était donc l’étape logique. J’ai donc été embauché par Ubisoft en tant que producteur associé, c’est-à-dire en management d’équipe et des projets. J’y ai travaillé pendant trois ans, je suis encore relativement jeune. J’ai profité de cette période pour faire du game-design à côté, ou pour approfondir mes connaissances globales du jeu vidéo en rencontrant des développeurs.
Malgré le fait que tu aies été producteur associé sur Just Dance, un poste plutôt prestigieux, cela n’est pas mis en avant dans la description du projet alors que cela pourrait être un gage d’autorité, y a-t-il une raison ?
C’est assez paradoxal. C’est un discours qui varie vraiment selon les personnes qu’on rencontre. Il y en a qui ont trouvé que c’était trop mis en avant. Aux Etats-Unis, on aime bien que le projet soit incarné, que la personne soit présente. En France c’est moins le cas. Je suis déjà assez en avant, donc on a quand même essayé de faire attention a pas trop en faire. Après, encore une fois, mettre en avant mon expérience de Just Dance a un côté assez paradoxal. D’un côté c’est un énorme jeu, même le plus gros jeu d’Ubisoft avec Assassin’s Creed, mais en même temps chez les joueurs, chez notre cœur de cible pour Pixel Heart, c’est pas forcément très connu, ni très respecté. Donc nous ce qu’on essaie d’expliquer c’est que dans n’importe quel type de jeu, même Just Dance, même un gros jeu commercial, on trouve des personnes derrière avec des démarches créatives qui s’expriment. Néanmoins pour parler à ces gens-là, leur dire que j’étais sur Just Dance n’était pas forcément le plus judicieux. Ça l’est moins que de leur dire qu’on va parler à Mark Healey de Little Big Planet. Pourtant je ne regrette pas mon expérience sur Just Dance qui était très enrichissante.
Dans Pixel Heart, il y a cette volonté de faire sortir de l’ombre les auteurs noyés dans des équipes de centaines de personnes, contrairement aux indépendants qui bénéficient par défaut d’une certaine exposition. Est-ce que cela provient d’une frustration personnelle ou de certaines injustices que tu as pu constater ?
Peut-être pas à ce point-là, mais en fait, j’ai mis longtemps à découvrir que derrière le jeu vidéo il y avait des personnes. Depuis que je suis petit, j’entends parler des studios, on parle toujours d’eux, alors que dans le cinéma on parle toujours du réalisateur, du directeur photo, même sur les petits postes on va donner des noms. Dans le jeu vidéo c’est tellement une frustration d’avoir trop peu de personnes exposées ou toujours les mêmes, c’est-à-dire une quinzaine qui reviennent en boucle, alors qu’il y en a énormément. Peu importe la taille de la structure, dans les interviews tu auras en réponse le nom du studio et pas du développeur. On a donc envie de remettre les personnes, leurs inventions et leurs émotions au centre de la question du jeu vidéo.
3 : Le crowdfunding
Malheureusement, le crowdfunding via Ulule n’a pas semblé porter ses fruits. Quelles leçons en tirez-vous ?
Dans tous les cas on ne regrette pas. Ça nous a permis plein de choses. D’abord de tester le projet, sa viabilité, de voir ce qui fonctionnait, ce qui ne fonctionnait pas. Là on est en train de rectifier un peu les choses, c’est un projet très complexe, on va se reconcentrer sur le film et sur les jeux, moins sur ce qui est autour. On va essayer de bien expliquer la narration du projet. Deuxième élément, ça nous a permis de faire connaitre Pixel Heart et donc de former une première communauté, ce qui n’était pas fait jusque-là. Maintenant on a des gens qui nous suivent, on existe médiatiquement, on a une première vitrine avec le site internet, etc. On a pu faire un énorme pas en avant en concrétisant ce premier jet du projet. C’est enrichissant de ce point de vue-là.
Quels sont tes plans de rechange dorénavant ?
Les plans B vont être plus compliqués, plus longs et un peu incertains. On va quand même continuer à fond. L’avantage du crowdfunding, c’est que si tu l’obtiens, tu peux commencer la prod directement. Tu n’as pas besoin d’intermédiaires. Du coup on va passer par des méthodes plus classiques. D’abord on va rechercher des investisseurs et/ou producteurs et/ou mécènes.
Vous avez des pistes ?
On a quelques pistes, de petites discussions engagées, mais rien de vraiment sérieux pour le moment. Dans tous les cas, le crowdfunding nous a appris à nous mettre en avant, à nous vendre, donc on ne part pas les mains vides. Une autre solution serait d’aller voir des chaines dans l’optique d’une co-production. Cependant ce n’est pas notre plan idéal, parce que bosser avec des chaines ça veut dire forcément faire des compromis, se restreindre au niveau du marché, au niveau du format, au niveau du contenu. Faire un film de plus d’1h30 en France en documentaire, c’est compliqué. Ça voudrait dire retoucher pas mal le projet, alors que le crowdfunding ça veut dire une liberté totale de créativité et de parti pris. On a quand même des plans de secours. On va continuer à s’accrocher, même si on sait que ça sera plus long.
Tu as préparé un dossier pour le CNC afin de financer le film, comment ça se passe ?
C’est toujours le même problème. Le CNC c’est une institution géniale, mais en même temps il y a quelques inconvénients. Exemple : aucun projet provenant du crowdfunding n’a été financé par le CNC. Ca peut se tenter, ils ne sont pas du tout contre, mais ça n’a encore jamais été le cas. Le problème c’est que le crowdfunding est peu développé en France, et que pour déposer un dossier au CNC il faut avoir un apport financier. Vu qu’on n’a pas eu le crowdfunding, on ne peut pas être supporté par le CNC.
Le crowdfunding ambitieux en France, est-ce vraiment possible ?
Je n’ai pas encore assez de recul donc je n’aurai pas une réponse catégorique, mais quand on regarde un peu les gros projets en crowdfunding en France, ceux qui ont été validés, qui fonctionnent, dans 90% des cas ce sont des projets qui disposent d’une très grosse communauté et qui existent déjà médiatiquement, qui ont déjà fait des choses, qui ont un apport. A l’inverse du crowdfunding aux Etats-Unis où tu peux te lancer sans cash et avoir quelque chose d’énorme. Donc je ne dirais pas que c’est impossible, mais disons qu’il faut être sûr de son coup. C’est vraiment compliqué et on se trouve loin derrière les Etats-Unis à ce niveau-là. La culture du don n’est pas la même. Là-bas ils sont habitués à donner à des œuvres de charité tous les mois. Moins ici. Tout au long de la campagne, c’était intéressant de voir à quel point même des gens très proches ou très concernés qui trouvent le projet génial, prêt à donner de la main à la main 10, 20, 30 euros, ne s’imaginent pas en train d’aller s’inscrire sur un site pour donner de l’argent de manière dématérialisée. C’est une étape que l’on n’a pas encore franchie en France.
Liens : Page Ulule du projet : http://fr.ulule.com/pixelheart/
Site du projet : http://pixelheartproject.com/fr/accueil/