Avant Transistor, il y avait Bastion. Supergiant Games frappait alors un grand coup dans le plus si petit monde du jeu indépendant en dynamitant la narration. Grâce à la voix posée et charismatique omniprésente de Logan Cunningham, l’action n’était plus synonyme de vide scénaristique. The Kid était seul, mais le joueur lui était happé dans l’univers par cette présence énigmatique. Malgré le fait que la formule soit discutable pour les errances d’attention qu’elle cause, elle fit mouche et propulsa le studio sur le devant de la scène. Quelques années plus tard, Supergiant Games récidive en espérant se frayer à nouveau un chemin dans le cœur des mélomanes.
S’il use sur la forme du même modèle, Transistor cherchera néanmoins à se différencier. Lorsque Red, l’héroïne, est confrontée à son mutisme et à la mort de son amant par l’épée qui donne son nom au titre, elle n’a rien de la détermination du Kid. On la sent plus fragile et bouleversée, plus près de l’humain que du héros. Elle retire pourtant l’arme du corps qui gît sans vie et découvre que l’âme de son bien-aimé s’y est réfugiée. Dès lors, Transistor troque la narration descriptive de son ainé contre une incessante tirade accompagnatrice. De la tendresse à la folie, les registres sont nombreux et maitrisés. Cependant le joueur se voit exclu de l’équation tant les palabres ne semblent s’adresser qu’à Red. Il en est d’autant plus troublant que l’histoire nébuleuse de Transistor le refoule aux portes de son univers. Comme si le récit cherchait délibérément à le tenir éloigné de quelque trésor qu’il y aurait à subtiliser.
Les richesses du titre de Supergiant Games sont pourtant bien à la vue de tous. Toujours à contrepied de Bastion qui sanctuarisait la figure du Kid, le véritable héros de l’épopée de Transistor est la ville de Cloudbank. Cité techno-mondaine aux inspirations vénitiennes, elle est la plaque tournante de l’expérience. Les pérégrinations pop et jazz de Red servent la chronique d’un monde en proie à l’apocalypse. Le Process, organisme informatique non identifié, cherche à établir son joug sur Cloudbank et commence à l’infester. La touche pastel si chaleureuse de Jen Zee (artiste) se voit revisitée par l’altération blanchâtre des décors. Entre modestes teintes fluorescentes, pierres polies et blanc immaculé, Supergiant Games est parvenu à trouver un surprenant équilibre dans cette direction artistique. Le tout rehaussé d’une pointe acidulée fournie par la planante bande-son. Il faudra pourtant casser cette harmonie en s’attaquant au cancer qu’est le Process.
En prenant la forme de robots artefacts et autres cyborgs humanoïdes, il barrera incessamment la route de Red. De telle sorte que Transistor pourrait se résumer à une interminable pluie de joutes de plus en plus complexes. Car en effet, le gameplay se fait exigeant. Sainement exigeant. En dépit d’une certaine rigidité dans les déplacements qui peut agacer, Transistor exploite une mécanique de build d’aptitude particulièrement rusée. Elle pousse inévitablement le joueur à rechercher et à expérimenter toutes les combinaisons possibles afin de faire face à la violente gradation de la difficulté. Puis, en suspendant brièvement l’action d’une pression de doigt en combat, on aligne consciencieusement ses capacités qui s’exécutent en un éclair dévastateur une fois le flot du temps rétabli. Supergiant Games réussit par conséquent l’exploit de traduire inéluctablement le temps investi dans les menus en une réussite du joueur sur le terrain : le gameplay de Transistor récompense l’investissement intelligent. Bourré de subtilités et doté d’un éventail de possibilités impressionnant sur la seule base d’une vingtaine de compétences, Transistor s’impose ainsi comme un titre ingénieux. Sommairement efficace comme le jeu d’échec, beau et équilibré comme un film de Wes Anderson.