Ca commence avec Clogger, un brûlot revanchard tel qu’on les aime chez 16 Horsepower : lacérant, rock et sec comme un coup de trique. Puis on se rend ensuite compte que ce n’est qu’un baroud (ou un bras) d’honneur à la Good night ladies du Lou Reed de Transformer. Car vite, le tempo baisse et le grand œuvre opère. Moins mystique et tranchant que son sublime prédécesseur Low estate, Secret south débarque en effet pour nous filer un sale coup de cafard. Exit la rage contenue qui explosait parfois comme un trop-plein de rancœur. Elle est aujourd’hui diffuse, délayée dans cette longue parade fière et résignée.
En clair, Le Fire Spirit est toujours présent mais sous forme de braises sur lesquelles Edwards et sa bande soufflent doucereusement pour les garder ardentes. La douleur suinte en effet de chacune des merveilles de Secret south. Mais pas de panique ce pseudo-renoncement est en fait une victoire, et si les morceaux défilent comme des bêtes que l’on mène aux abattoirs survient la révélation. 16 Horsepower que l’on savait bon groupe en est devenu un grand. Un groupe qui s’avance : seul au monde, les bras en croix, en loser magnifique ; et qui dit non, en l’assumant et le clamant avec classe. Un groupe qui fait baisser les yeux devant tant de beauté vénéneuse, de gravité sentencieuse ou de désespoir lyrique (cf. la litanie sudiste Silver saddle). Ce n’est pas un parti pris artistique -mais un fondamental à prendre ou à laisser.
Ecouter Cinder alley et l’un des sommets de l’album, Poor mouth (pour ces entrelacs mélodiques au fer rouge), suffisent à s’en convaincre. Ces complaintes contre le vent mauvais ou les courants mortels sont habitées de bout en bout, et nous descendent au troisième sous-sol pour nous y maintenir la main au collet. Ailleurs, d’autres nasses nous immobilisent. Car Secret south, en faisant fi d’un country rock désabusé qui cocufie le père Ingalls de la Petite Maison dans la prairie et déroule le tapis rouge à Hank Williams, impose ses ballades ensorcelantes aux envoûtements revêches, proches de ceux de PJ Harvey ou Nick Cave. C’est d’ailleurs ce qui frappe, on connaissait les accointances françaises d’Edwards (dans le groupe même et avec Théo Akola ou Bertrand Cantat) mais certainement pas une telle communion avec l’esprit du magnifique loup (des steppes ?) des Bad Seeds. Solide sur ses jambes mais chétif dans sa tête, Secret south sous des dehors spartiates (instrumentation classique colorée par bandonéon, banjo et violon) est certainement le chef-d’œuvre de 16 Horsepower, dont l’addiction tient dans le lancinant extatique et tellurique d’Eugene Edwards (grâce à son chant de procession inouï). Et comme la chanson de Ferrer, ce Sud secret s’inscrit, lui aussi, dans l’éternité -plus d’un million d’années…