Cruel sign of the times : cela fait maintenant autant d’années que Prince nous déçoit que d’années pendant lesquelles il nous a sidérés. Le parcours sans faute qui va de For you (78) à Lovesexy (88) a fait de lui l’un des artistes les plus intéressants des eighties, mais depuis Batman (89) on s’est habitués à être frustrés, chaque nouvel album comprenant une proportion croissante de morceaux indignes de sa fulgurance passée. S’entourant de tâcherons balourds (le NPG), changeant plusieurs fois de nom (Love Symbol, The Artist), se brouillant avec sa maison de disques (Warner), l’ex-« nain-pourpre » de Minneapolis semblait s’être définitivement perdu dans ses rêves, ce que seuls de brillants concerts contredisaient encore. Le dépouillé et somptueux 4e CD The Truth du coffret Crystal ball sorti l’année dernière (sur son label NPG) nous ayant rappelé tout ce dont il est capable, la frustration de ne pas le voir mieux diriger sa carrière était énorme.
Ce « nouveau » disque, qui sort chez Warner pour des raisons contractuelles, est composé, tout comme Crystal ball, d’anciens inédits (glanés entre 85 et 94). Hélas, il apparaît vite que l’Artiste se réserve les morceaux de choix pour son propre label. Et s’il est bien agréable de pouvoir réutiliser le nom « Prince » sans se faire taper sur les doigts, ce disque est loin de l’inventivité bouillonante de Purple rain ou de Lovesexy. La légende veut que les coffres de son domaine de Paisley Park regorgent de centaines de morceaux inédits, mais s’ils sont de ce calibre, on espère qu’ils resteront au frais.
Car ce qu’il nous offre ici est une légère musique de cocktail jazzy/funky, aux cuivres rutilants, évoquant au mieux les jams nocturnes qu’il donne dans de petites salles après ses grands concerts, mais au pire (presque la moitié des titres) la bande-son des dîners de La Croisière s’amuse. Prince vire lounge ; si vous lui demandez gentiment il acceptera peut-être de jouer pour votre mariage… Exercices de style desquels la passion semble absente, certains morceaux possèdent néanmoins leur petit charme, comme le naïf She spoke 2 me et sa guitare désinvolte, les bluesy When the lights go down et 5 women (« It took me 5 women to get you out of my mind… ») ou la plainte orchestrale de Old friends 4 sale, qui sert d’ailleurs de sous-titre à l’album. Mais « Vieux amis à vendre », cela sonne après écoute comme un aveu : Prince met ses principes musicaux sur le trottoir. Il n’est pas fier.
Et maintenant ? Cet album moyen mais cohérent, dette à régler à Warner, a finalement peu d’importance. C’est en effet avec beaucoup plus de curiosité qu’on attend pour novembre un album chez Arista, avec des invités prestigieux (Chuck D, Maceo Parker, Ani DiFranco), en espérant que le chiffre 1999 réveillera l’ancien Prince qui sommeille en l’Artiste.