CI est un premier LP, mais ses maîtres d’œuvre sont loin d’être des nouveaux venus sur la scène électronique. Les noms des deux composantes au cœur de ce projet – Alva Noto (Carsten Nicolai) et Byetone (Olaf Bender)- font en effet résonner une quinzaine d’années de souvenirs, au bas mot. Car outre leurs faits d’armes solo et collaborations en tous genres (Sakamoto, Scanner et Blixa Bargeld au tableau de chasse d’Alva Noto), les deux hommes sont à l’origine du précieux label minimal et concept de Chemnitz: Raster-Noton, par où sont passés entre autres Ilpo Vaisanen, Mika Vainio et encore récemment un Ryoji Ikeda dont on ne saurait que trop recommander le délicat et radical Supercodex.
Ces séances d’acupuncture sonore alternant bleeps, clicks et bruit blanc structurent un univers à la rigueur toute germanique, a priori éloigné des considérations actuelles du label Mute sur lequel le duo a porté le projet Diamond Version (faut-il rappeler une Electrospective pas franchement convaincante?). A la question la plus intéressante que pose l’objet, à savoir « le virus va-t-il se propager à grande échelle ? », on répondra que ce qui fonctionnait très bien en format court s’avère plus problématique ici.
Car il y eut d’abord une série de cinq EPs qui, sans être absolument révolutionnaires, témoignaient d’une ambition chaotique – et finalement pop au sens large – assez réjouissante. Sur un axe théorique McLuhan versus Debord, Diamond Version s’attaquait alors avec une ironie rentrée au consumérisme ambiant. Le propos avait beau être éculé, les morceaux n’en étaient pas moins excitants. Les titres s’accompagnaient d’une dimension visuelle rappelant l’affection de Bender pour l’image basse-def, et d’un graphisme gardant la trace du penchant Rasternotonien pour l’esthétique Bauhaus, la précision minimaliste et l’abstraction géométrique. Résultat de cette démarche: une série de vidéos de haut vol – et des disques à diffusion limitée se transformant eux aussi en désirables objets de consommation.
Plusieurs titres de CI en sont issus, dans de nouvelles versions (certains ont gonflé, d’autres rétréci au lavage), accompagnés de featurings et de nouveaux morceaux. Mais, pris entre un déroulé de beats au kilomètre – malgré des tentatives estimables comme Access to Excellence et surtout Raising the Bar – et propos agit’pop, Diamond Version peine sur la longueur à faire infuser son electro tendue dans un bain plus smooth. Au contraire, elle se retrouve phagocytée par le milieu: angles arrondis, peu de trouées possibles. L’effronterie initiale se perd (fallait-il vraiment rallonger la sauce de Turn on Tomorrow ?), reste tout de même cet humour discret, tongue-in-cheek et acide, dont le versant le plus visible – voire le plus pataud – est l’omniprésence des taglines publicitaires dans les titres.
Si cet aspect du discours, surtout au regard des performances passées de Nicolai (notamment aux côtés d’Andy Moor de The Ex et du poète sonore Anne-James Chaton), et la thématique homme/machine qui s’y greffe ne sont pas d’une franche originalité, les slogans sur Science for a Better Life tapent toujours efficacement, quand les scansions (et les filtres) de l’inaugural This Blank Action et de Feel the Freedom (dont le mantra fait partie des plus belles réussites ici) diffusent un doux parfum nineties. On songe parfois aux débuts de Faithless, voire au genre d’album qu’un Tricky, s’il n’était entre-temps devenu inintéressant, aurait pu réaliser aujourd’hui. Ce qui n’est qu’un demi-compliment.
S’il faut saluer la réussite de featurings au premier rang desquels la starlette du laptop Kyoka et l’artiste japonais Atsuhiro Ito (qui utilise comme source sonore un tube électrique fluorescent de sa fabrication), la visite la plus intrigante sur le papier était celle de Neil Tennant. Sur le Were you There qui débauche le Pet Shop Boy, la collision entre les deux univers fonctionne presque, pop et pointue, ça caresse et ça gratte, mais ça n’emporte pas définitivement. On se prend à rêver à l’œuvre corrosive, efficace et audacieuse, catchy et un peu bourrine, dont une telle team est évidemment capable: dommage donc que la greffe ne prenne pas tout à fait, et que plane çà et là un vague ennui (Connecting People). Au point d’en regretter les escapades dans les contrées epurées du Glitchenstein, avec des fréquences parasitaires plein les bagages.