“Il n’y a rien de plus facile que d’épater le bourgeois”, pavoisait Gaspar Noé, quand on lui demandait si le plan intravaginal d’une bite qui éjacule dans l’objectif de la caméra, dans Enter the Void, était « vraiment nécessaire ». Non, bien sûr, ce plan n’était pas nécessaire, mais il était bien pratique : à coup sûr, les mots « excès » et « mauvais goût » viennent à l’esprit – et c’est tout ce que voulait Noé : choquer.
Ben Frost joue la même carte que Noé. Il le dit lui-même, d’ailleurs, dans une interview accordée au Quietus. Qu’est-ce qui compte le plus pour lui ? « Le coup de pied au cul émotionnel », et rien d’autre. Ce qui veut évidemment dire : le coup de pied au cul qui choque. L’australien Ben Frost, Islandais d’adoption, veut épater le bourgeois lui aussi, en livrant une sorte de horrorcore drone et muet. Sa recette ? Samples de grognements de fauves (By The Throat, Black Marrow), épaisses couches drones ultra dark, jump scares sonores – ces saillies ultra bruyantes, fonctionnant comme des jack in the box ou comme les boogeymen qui hantaient la vidéothèque locale.
Tout cela est facile, voire neuneu. Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas efficace, comme l’était Irréversible. Et puis les précédents albums de Frost jouaient tout de même habilement sur les contrastes, et l’amplitude sonore était vraiment ahurissante, entre les plages ambiantes de piano préparé et les saillies de claviers ultra agressives.
Sur le papier, A U R O R A s’annonce très prometteur : Frost y convie Greg Fox (ex Liturgy), Shahzad Ismaily (Secret Chiefs 3) et Thor Harris, l’Héphaïstos des Swans, tapant ici encore sur ses percussions tubulaires. On s’attend à un déluge rythmique à faire trembler la lithosphère, et on n’est pas déçu. Rythmiquement, le disque est un festin. La variété des percussions, et de leur traitement, est un vrai régal.
Le problème vient d’ailleurs. Il vient de l’inflation insupportable des couches drone, des claviers distordus, tous plus agressifs les uns que les autres, et qui finissent par rendre cette musique aussi indigeste qu’un quintal de churros à l’aïoli. D’autant que Ben Frost semble avoir découvert un truc de DJ, et même : le plus simple des trucs de DJ : monter le son progressivement, ad nauseam.
Et il y a pire. À la rigueur, on pourrait se dire que l’excès sonore n’est qu’une manifestation des velléités expérimentales de Frost. Mais quand survient, à 5’20 de Nolan, une mélodie digne de la BO de Mortal Kombat II, on se frappe le front. Tout ce qui est bon dans ce disque est presque instantanément disqualifié. Et cela n’arrive pas qu’une seule fois. Venter est lui aussi un morceau rythmiquement impressionnant, très indus, mais une dégoûtante mélodie de clavier évoquant Tuning Compilation PT4 vient finalement gâcher l’ensemble.
Il vient alors à l’esprit que Ben Frost s’est trompé de mauvais goût. Ou plutôt qu’il a révélé le sien par mégarde. À trop se concentrer sur le « plaisir aristocratique de déplaire » à force d’agressions en tout genre, il a laissé s’échapper de très grosses bêtises. C’est moche.