De toutes les sagas de super-héros qui pullulent sur les écrans, X-men est peut-être la plus sympathique. Celle à qui il faut être reconnaissant d’avoir su prétendre le moins au blockbuster boursouflé, tout en synthétisant avec enthousiasme les lignes de force du genre : la ménagerie au travail (la saga un crossover en soi), le patchwork des genres, la géopolitique alternative, l’allégorie sur l’intolérance et l’acceptation de soi. Rien de transcendant, mais un programme limpide et généreux, par la suite remis sans cesse sur le métier par d’autres franchises. Pour une ribambelle de demi-navets, et peut-être deux chefs-d’oeuvre : l’un porté par la joie et l’excitation de la série B (Spiderman 2), l’autre mû par des aspirations plus sombres et emphatiques (Dark Knight).
Tour à tour ludique (l’émulation de freaks en combinaison) et grave (le traumatisme des camps de concentration, l’habituelle séquence inaugurale), la série semblait donc intégrer ces contradictions dans son ADN. Et dès lors il y avait plusieurs raisons d’attendre avec une impatience raisonnable la sortie de ce nouvel X-men. Déjà, parce qu’avec son prequel First Class (en mauvaise VF : Le Commencement), la saga prouvait qu’en retardant le passage à l’âge adulte et en délaissant le tamis du sur-contemporain, on pouvait déjouer la boucle de lassitude de l’ersatz. Prétextant un retour aux origines, le film infantilisait sa problématique un peu pompeuse sur les minorités opprimées pour la réduire à de stricts questions d’adolescent (à qui on demanderait à quelle bande il voudrait appartenir). Archéologie crédible et synthétique, fignolée dans une copie sans faute par Matthew Vaughn, First Class faisait valoir en même temps la charmante désuétude du super-héros, brossant à rebrousse poil les prétentions high tech du genre pour lorgner sur les plates-bandes défraichies des vieux James Bond ou de la série télé Mission Impossible. L’efficacité des X-men a toujours tenu, au fond, dans leur désir louable de réconciliation des tendances.
Et c’est ce beau syncrétisme de l’ancien et du nouveau qu’a toujours célébré, avec une certaine efficacité décomplexée, l’artisan Bryan Singer, qui reprend le flambeau pour ce nouvel opus. Malgré une éclosion un peu roublarde (le polar post-moderne Usual Suspect), il y a toujours eu chez le fanboy une prévalence de la valeur sûre sur les effets de mode. D’où un tempérament idéal pour conduire une franchise pas forcément à l’aise avec l’abstraction figurative de l’actionner 2.0. Rien d’estimable comme cet art du storytelling feuilletonesque et disert, cette façon de mettre la grande machinerie hollywoodienne au service d’une rencontre émouvante de gens bizarres, de marginaux à moitié extraterrestres.
Dommage qu’ici le réalisateur du très beau Walkyrie se fasse prendre au piège de la saga : son côté fourre-tout. Car derrière son titre proustien, Days of Future Past cache un programme qui traque le beurre et l’argent du beurre, tordant le dos son script pour être une suite de L’Affrontement Final (épisode 3) qui soit en même temps une suite de First Class (épisode 1 bis — vous suivez ? non ?). Quittés fâchés, Magnéto et Charles Xavier se rabibochent dans le futur pour contrer le désastre d’une menace commune (une armée de Terminators anti-mutants) et s’emploient dans l’urgence à renvoyer Wolverine dans le passé pour : 1- renouer leur amitié ; 2- arracher la mauvaise herbe à la racine (le papa des super-robots — qui au passage, est un nain). Tout cela s’avère à la fois invraisemblable (disons qu’Omar Sy en mutant rastafari, ça ne donne qu’à moitié envie d’y croire) et plutôt marrant, négligent, décontracté, rien d’autre au fond qu’un biais scénaristique pour s’amuser avec les années Nixon, les accords de Paris, les paillettes seventies, après la crise des missiles de Cuba et les sixties grisâtres de First Class.
Relecture vintage et foutoir futuriste, Days of Future Past se donne quasiment à lire comme parodie totale des actionners des trente dernières années (tout y passe : Terminator donc, mais aussi Matrix, Independence Day, Inception, etc.). Sauf que trop gourmand, le film s’empiffre et renverse de la bouffe partout : on titube ainsi entre pantalonnade adipeuse et méta-film décomplexé, sans qu’à aucun moment le récit ne retrouve le subtile équilibre de First Class, qui en faisait une sorte de Watchmen pour kids. À cheval entre le barnum débridé façon Avengers (mais sans l’extase de la pugilat en roue libre) et le blockbuster travelo façon Cloud Atlas (mais sans la folie de sérials en fractales), Singer harmonise comme il peut sa cacophonie de série Z fastueuse, réussit bien ça et là quelques trucs (dont une superbe séquence d’extraction, gracile et aérienne), mais n’arrive jamais à fusionner ses lignes en un même mouvement.
On a surtout du mal à voir dans ce trait d’union écartelé autre chose qu’un nouveau prétexte à un gros reboot : à la fin, l’hécatombe conjurée, Wolverine se réveille à notre époque avec une grosse gueule de bois. Mais bonne surprise quand, arpentant les couloirs de l’académie de Professeur X, il y redécouvre tous ses copains — anciens, nouveaux —, vivotant comment si de rien n’était, amnésiques de toute une saga dont les recettes cumulées vont bientôt avoisiner les 2 milliards de dollars. C’est dire si tout le monde est chaud pour renfiler la combinaison moulante, avec un épisode déjà prévu au calendrier (deux ans, tout pile), et qu’on suspecte déjà, avec son titre tonitruant (Apocalypse !), de vouloir simplement remplacer le mauvais souvenir de la bouse de Brett Ratner. Miracle d’Hollywood, miracle de la génétique, où les choses n’en finissent plus de finir et de recommencer, où rien ne se perd et rien ne se crée, où tout se transforme au gré des crises politiques et des voyages dans le temps.