Non, ce n’était pas à proprement parler du désir, mais plutôt une véritable fringale qui nous tenait les tripes en haleine, dans l’attente de ce Is this desire ?, après trois ans d’absence de Polly Jean Harvey, la Madone du Dorset. Un truc fait de chair et de sang, nourri d’angoisse et de doute ; ah, elle avait bien réussi son coup, on avait accueilli l’irrésolution et l’anxiété chroniques de la dame jusque dans notre ventre, réservant la place pour ce nouvel enfant. On était même prêts à porter la croix avec elle, persuadés qu’on était de se goinfrer d’un album forcément dramatique, vu l’état dans lequel P.J. Harvey se trouvait il y a trois ans, minée dans sa tête par la dépression et dans son corps par l’anorexie.
Or, Is this desire ?, s’il reprend les thèmes déjà explorés dans les albums précédents -rapports humains conflictuels, acceptation de soi problématique-, positionne ce questionnement foisonnant tout à fait différemment. Pourquoi ? Parce que P.J. Harvey a changé, et que ce changement semble s’être produit dans le calme et la réflexion plus que dans l’explosion de sentiments contradictoires et violents. Apaisée, Polly ? Sans doute pas totalement, mais désormais, elle retranscrit son mal-être -il faudrait dire aujourd’hui son mieux-être- dans des compositions musicales plus posées, plus variées. Le discours, par contre, est toujours aussi fort. Seulement, rassurée par la présence d’éléments -le ciel : The Sky lit up, l’air : The Wind, la terre : The Garden, l’eau : The River -dont elle sent bien la force terrible, destructrice auparavant, réparatrice dorénavant, P.J. Harvey semble se sentir plus stable, et en profite pour s’ouvrir, mais en douceur, à des influences jusqu’ici peu explorées. Sonorités électroniques sous-jacentes, beats hip hop saturés viennent contrebalancer cette forme de « gothic blues » qu’elle maîtrise si bien. Sa voix, également, est souvent moins en rupture par rapport à la musique que dans le passé, elle vient se poser comme une ligne ajoutée à la partition instrumentale ; Catherine, The Garden ou The River en témoignent magnifiquement.
Nouveauté encore, la présence, jusque dans les titres, de femmes, avec lesquelles P.J. Harvey avouait ses difficultés relationnelles. Angelene, My beautiful Leah, A Perfect day Elise, Catherine féminisent joliment Is this desire ?, pimentant même d’une pointe d’ambiguïté cette question. Il faut cependant sans doute y voir un forme de distanciation de la part de P.J., une manière pour elle de reposer la question sans l’aborder frontalement.
Cet album, s’il offre toujours le souvenir de la P.J. Harvey écorchée, toutes griffes dehors que l’on a connue (certains vrombissements de basse en sont une réminiscence), marque un pas décisif vers un accomplissement artistique, et vers notre bonheur d’auditeur.