On annonçait ce troisième album de Tortoise comme celui de la reconnaissance incontestée, et on ne s’est pas trompé. Ce à quoi on ne s’attendait peut-être pas, c’est à un album qui ne cède pas à la facilité, qui évite les poncifs -et notamment les étiquetages à la mode : post rock, avant rock…- et qui s’impose par la sûreté des choix et la qualité remarquable des compositions.
En effet, le collectif -géométrie variable, même si John McEntire peut être considéré comme le maître d’œuvre- de Chicago impressionne par sa capacité à recycler toutes sortes d’influences fortes -Kraftwerk, Art Ensemble of Chicago, Pharoah Sanders, Can-, à naviguer au large des idées reçues (combien ont cherché à ne voir en Tortoise que des cloneurs doués, des jazzeux prétentieux ratant leur fusion), et à donner, à chaque fois, une telle impression de nouveauté. C’est net et précis, dans le laboratoire à sons de Tortoise, on élabore ce qui de fait de mieux en matière de musique d’aujourd’hui- et de demain. Leurs dernières expériences dans les domaine des remixes, des collaborations ou des side-projects (Isotope 217, Directions, The For Carnation, U-Sheen, The Sea and Cake…) montrent d’ailleurs que ces garçons sont rarement à cours d’idées et excellent dans des domaines fort éloignés les uns des autres.
TNT est à ce jour leur effort le plus important, représentant la synthèse d’années de travail. A la fois diversifié et ramassé sur lui-même, cet album fourmille de trouvailles sonores, d’arrangements déconcertants au départ mais finalement évidents. Il dégage une grosse impression de maîtrise et de cohésion.
D’emblée, TNT, le premier titre, avec son introduction de rythmes foisonnants en forme d’hommage à la grande tradition du jazz, donne le la d’un disque qui, jusqu’au bout, va émerveiller par ses alchimies savantes et ses potions plus que digestes. Suring from the gutters et sa basse bourdonnante, éminemment organique, impose le plus cinglant des camouflet à ceux qui accusaient McEntire, Herndon, Bitney et les autres de n’être des bidouilleurs besogneux. Ten-day interval, réminiscence d’un Sakamoto devenu blanc, clôt brillamment l’entame.
Et derrière ce tiercé gagnant, il y a en a neuf autres qui se poussent du coude pour rivaliser de prouesse et de génie –The equator, funk glacé des bas-fonds ; A simple way to go faster…, dub campagnard miné par de langoureuses émanations jazzy ; I set my face to the hillside, western argentin aux reflets nacrés ; Jetty, une pièce maîtresse qui ne se laisse pas apprivoiser par la première écoute, mais révèle ensuite ses lueurs ( à travers la clarté des lignes de guitare, la clairvoyance de la programmation rythmique à plusieurs niveaux)-, et guider l’auditeur vers une conclusion d’une ridicule simplicité : au-delà du plaisir qui se dégage de ces morceaux, il a le bonheur de découvrir une musique qui met en avant l’intelligence de l’âme.