Gilles Ghez fait des boîtes, grands dispositifs scéniques en trois dimensions, dans lesquels il laisse libre cours à des obsessions qui parcourent l’ensemble de son travail. Obsessions cinématographiques et littéraires, tout d’abord -les citations abondent- qui dessinent un paysage mental très personnel de Borges à Fritz Lang sous le haut patronage du beau texte de Pierre Jean Jouve qui ouvre le catalogue. Mais obsessions de peintre également, par un intense travail de couleurs et de matières, le recours à une iconographie baroque et débridée dans laquelle l’Extrême-Orient tient une large part ou encore, sur un registre plus désabusé, par l’usage de la métaphore sur la condition du peintre aujourd’hui (La Vie d’artiste).
Les Cheminées de Gilles Ghez doivent d’abord être entendues au pied de la lettre : cheminées de bateaux, steamers improbables naviguant dans les eaux troubles de révoltes violentes et érotiques (The Red Witch, Le Bateau du docteur Moreau). Mais c’est aussi de cheminées mentales dont il est question avec leur long et sombre conduit de l’imaginaire qui permet à la fois la dissimulation et l’éruption (The Lack of Signs, Le Baiser). Voici la Région humaine du dessous de Pierre Jean Jouve que l’artiste met en scène non sans admettre, dès l’ouverture du catalogue, la perplexité ironique que fait naître toute tentative de mise à plat de cette mouvante région (Psy chat nalyse). Et l’on comprend les liens étroits que Gilles Ghez a longtemps entretenus avec le mouvement surréaliste…
Le média employé se prête à merveille à une telle exploration. L’amoncellement de papiers, bois, résine, fils de fer, cartons… semble répondre à l’accumulation de personnages, aristocrates, femmes fatales, militaires en uniforme, etc. L’adéquation entre la technique et le propos permet de varier les angles d’approche de l’exploration proposée sans qu’un point final ne vienne clore cette visite. Par l’utilisation des trois dimensions, la mise en scène de la vie intérieure prend ici l’allure d’un théâtre luxuriant où aucun détail n’est épargné -sauf ce qui est volontairement caché : le mystère s’épaissit fréquemment chez Gilles Ghez, l’artiste peut nous emmener visiter de nombreux recoins obscurs de sa géographie personnelle. Au-delà des images reçues qu’il manipule -un cargo cher à Corto Maltese, une Madone des sleepings-, Ghez invente un art faussement narratif. Car c’est avant tout la manipulation de la lumière que l’on retient. Les miroirs qui bordent les boîtes, les éclairages intérieurs qui poussent notre regard à se fixer sur l’infime. En captant la lumière, là aussi, Gilles Ghez nous invite au voyage.