Jean Rouch prend des photos comme il prend des notes » : c’est à cette réflexion qu’ont répondu les commissaires de l’exposition, Laurent Pellé et Christine Barthe. Présentée au musée de l’Homme, la manifestation met en avant la fulgurante carrière du cinéaste dans ses débuts. Issues de la collection du musée comprenant vingt mille photographies, une cinquantaine sont exposées dans un décor feutré et intimiste. L’homme se veut accessible et même familier.
Jean Rouch nous emmène dans ses principales missions que furent Le Fleuve Niger ou Accra-Dakar, de 1947 à la fin des années 60. On connaissait l’ingénieur, l’ethnologue passionné, pour la première fois, à 83 ans, le photographe nous livre ses secrets. Une série de clichés, noir et blanc ou couleur, dont certains sont altérés, ont gardé la mémoire du temps. Ils marquent le spectateur par leur présence : celle des amis de toujours, comme Griaule qui participe avec lui à la création d’un Comité du film ethnographique, celle de Jane Rouch, sa femme, qui raconte qu’il pouvait se trouver « six mois en Afrique, six mois en Europe et six mois ailleurs… » Et c’est en cela que réside la complexité et la formidable soif de curiosité du personnage. Il ne sait pas, ne peut pas rester en place.
L’exposition n’est ni avant-gardiste, au regard de l’art contemporain, ni documentaliste. Elle incite davantage qu’elle n’explique d’ailleurs. Et pourtant, selon Raymond Depardon, « dorénavant en photographie, entre Pierre Verger et Cartier-Bresson, il y a Jean Rouch ». Récits photographiques n’est pas le reflet de L’Afrique éternelle, si souvent imagée. Elle retrace simplement l’essor économique du pays après guerre, ses mutations urbaines et industrielles, à l’époque de la colonisation. On y découvre un thème cher à l’ethnologue : l’activité des pêcheurs, Rouch vivant auprès des Songhay. Très jeune, il se passionne pour le mouvement surréaliste dont Breton fut le chef de file. C’est peut-être la raison qui confère une place de choix à la magie des rituels et au culte de la possession.
A chacune de ses étapes, il enquête, prend des notes, travaille l’image. Il réalise ainsi des montages, des plans-séquences, plans-coupes dont certains originaux sont présentés au public. Depardon dit également de lui qu’il est « l’inventeur d’un regard sur les autres ».
Depuis Au pays des mages noirs, réalisé en 1946, Jean Rouch a reçu tout au long de son parcours un nombre de grands prix aussi impressionnants qu’honorifiques. L’exposition dévoile avec amusement et spontanéité les tournages de ses principaux documentaires. La puissance dont témoignent ses images, si fortes encore aujourd’hui, fait toute la différence. Jean Rouch considère que « le cinéma est un art qui se met lui-même en scène et se reproduit par lui-même ».
Dons faits à la collection du musée de l’Homme en 1998, les photographies ont pu être numérisées et sont donc consultables sur place. Chercheurs, universitaires ou étudiants prennent chaque jour plaisir à enrichir leurs connaissances. Peut-être le croiseront-ils au détour d’un couloir, à moins que Jean Rouch ne soit déjà reparti pour l’Afrique.