Manena, fille d’un riche propriétaire terrien, rejoint sa famille dans le Sud du Chili pour l’été, qui est celui de ses seize ans. Autour du domaine familial, les Indiens Mapuches luttent pour récupérer leurs terres, mais les adultes n’en ont cure, persuadés que l’argent et les barbelés les protègent, et tuant le temps en exterminant les carpes à coup de dynamite.
Marcela Said, connue jusqu’ici comme documentariste (I love Pinochet, El Mocito), prend le parti, pour sa première fiction, d’une captation impressionniste du conflit mapuche, éludant la complexité politique du sujet pour miser plutôt sur une approche purement sensorielle. Plongée dans la dense obscurité de la forêt chilienne, la violence du conflit est masquée autant que figurée par le rideau de brume qui cerne le lac de la propriété familiale. Dans ce cadre purement spectral, le spectateur s’en remet à Manena, qui est son guide et qui va entraîner doucement le film sur la voie d’un récit initiatique. Affligée de parents qui semblent parfaitement sourds au monde, elle va, petit à petit, commencer à se poser des questions et interroger sa place de privilégiée, tout en s’éveillant (coming of age story oblige) au sentiment amoureux.
Les dialogues sont rares, laissant le silence remplir les trous béants d’un scénario élusif, et le spectateur évoluer dans ce décor comme un étranger, palpant la tension ambiante à mesure qu’il est baladé par la jeune fille de scène en scène, et découvrant au même rythme qu’elle l’absurdité extrême de l’indifférence des parents. Ponctué de nombreuses marches dans la forêt (on pense parfois au lac toxique de Top of the lake), le film suit une pente sensualiste assez élégante, qui permet en outre de contourner la tentation d’un exposé sur le contexte. D’autant qu’en donnant au spectateur cette place inconfortable du côté des nantis, il fait un choix judicieux qui lui permet d’éviter toute leçon de morale.
Le problème est que, malgré le voile de brume de la mise en scène, le film reste tout de même extrêmement lisible, et fait porter à ses silences (pesants), à ses regards (équivoques), un lourd poids de métaphore qui finit par le rendre extrêmement répétitif. À vouloir en dire si peu, à faire mine de dissimuler tout, il finit par être très simpliste et binaire, s’en remettant à des archétypes empesés et soulignés à l’extrême (il aurait peut-être pu se passer, par exemple, de jeter finalement Manena dans les bras de l’interdit, de l’incompris, du différent), mais les survolant seulement, au risque que le spectateur, tenu à distance de tout, finisse exactement comme les parents de Manena : indifférent.