Alors que Longue sécheresse s’implantait au cœur des campagnes galloises, Tout ce que j’ai trouvé sur la plage nous emmène vers les côtes du même Pays de Galles pour une immersion sans douceur dans un univers miséreux, en sérieux manque d’espérances. On dirait un mauvais Snatch, avec intrigue basique et drôlerie en moins. Cynan Jones fait au plus rapide : phrases courtes, directes, rien de compliqué. On est dans une histoire d’hommes : le grand baraqué, le gars de Liverpool, Hold le pêcheur, Gregorsz le polonais, Danny le mort. L’absence de femmes n’a rien d’anecdotique : quand elles apparaissent (il y en a deux), elles sont mères, hystériques, dépressives, muettes, résignées, un peu tout à la fois. Le récit se condamne donc à tourner autour de ses figures masculines, au charisme et à la jugeotte réduits à leur plus simple expression, parce que le texte lui-même interdit à leurs envies, leurs rêves, de s’exprimer.
On commence avec Gregorsz. Paysan en Pologne, il a quitté son pays pour le mirage britannique. Arrivé à destination, il se retrouve avec femme, enfants et compagnons d’infortune à la merci des gens de « l’agence » qui les a fait venir et qui les loge, les nourrit, leur fournit du travail : « Il ne savait pas qu’ils resteraient là si longtemps, coincés, suspendus en quelque sorte dans ce no man’s land et ce qu’ils avaient pris pour un nouveau monde idéal ». Employé aux abattoirs, il cumule les jobs pour tenter de gagner sa liberté, et pense toucher le gros lot quand on lui propose de faire entrer quelques paquets de drogue dans le pays : une petite mission simple, de nuit sur un canot, pour lui qui n’a jamais quitté la terre ferme. Les tensions familiales (« Elles peuvent être très méchantes dans la dispute, les femmes ») ont raison de ses hésitations : il se lance.
Vient ensuite Hold, le pêcheur. Son principal talent, son problème, héritage d’un père parti, d’une mère alcoolique, c’est son « désir de pourvoir aux besoins d’autrui ». Quand son meilleur ami Danny meurt, il s’engage à veiller sur sa veuve et leur fils. Peu importe ses sentiments pour Cara : il a une mission, un sens de l’honneur à l’ancienne, il ne dérogera pas à sa tâche, quitte à devenir un fardeau. « Hold me, tiens-moi ou lâche-moi, lâche-nous. Tu le ramènes dans nos vies à chaque fois, c’est étouffant », pense la veuve. Poussé par un urgent besoin d’argent, quand par une nuit de chasse et de pêche au filet il trouve un mort et la drogue, guère d’hésitation : il empoche les paquets et se met en tête de les négocier. Entrent alors en scène le grand baraqué et Stringer, les « gangsters », chargé de récupérer la cocaïne perdue et de donner une leçon au trublion qui a pensé pouvoir tirer son épingle du jeu. S’ensuivent quelques considération sur le banditisme à l’ancienne et ses vertus, perdues dans un monde nouveau sans foi ni loi. Sur quoi le roman se termine, évidemment mal.
Les thèmes envisagés sont intéressants : question du choix, lecture de la fatalité, du destin, de la soumission aux aléas de la vie, le tout porté par de longs monologues intérieurs, une tristesse retenue, le souci du quotidien, le refus de trop d’introspection. Mais là où dans Longue sécheresse la campagne galloise offrait un lieu d’appartenance, la plage ici n’est que rejet, refus, absence. Les souvenirs s’y embourbent, la mémoire s’y perd. Toute la retenue qui faisait la délicatesse et la poésie du précédent roman disparaît, pour que ne demeure qu’un drame vidé de sens, des vies pour rien.
Traduit de l’anglais par Mona de Pracontal.