Le name dropping comme argument d’autorité est un procédé écoeurant. Les commentaires souvent élogieux (à juste titre) des disques de Disappears les présentent comme très référencés ou influencés. The Fall, Wire, Joy Division, Liars, Bauhaus… Peu importe. Une grande part de la glose produite sur Disappears les assimile au post-punk et à la no wave, au milieu d’une nuée de groupes d’époque, assimilés post-punk et no wave. Mais d’une certaine façon, c’est faire injure au talent du groupe, à sa créativité, à sa personnalité. Era représente un tournant dans la discographie de Disappears. Loin des structures et des sonorités noisy et garage de l’excellent Pre Language, définitivement et efficacement tourné vers le post-punk, le groupe de Brian Case démontre qu’il est autre chose que le joujou de Steve Shelley. Son remplaçant à la batterie, Noah Leger, et le bassiste Damon Carruesco forment une section rythmique imparable, à la sobriété précieuse.
Era est déjà le quatrième album du groupe de Chicago depuis 2010. Ce dynamisme productif éloquent et assumé, est représentatif d’une volonté affirmée de tout enregistrer, tout de suite. Lux (2010 donc), Guider (2011) et Pre-Language (2012) étaient déjà sortis sur Kranky, label au catalogue classieux (Tara Jane O’Neil ou Pan American dernièrement). L’arrivée du batteur de Sonic Youth pour la tournée de Guider puis l’enregistrement de Pre-Language propulse médiatiquement les chicagoans au rang des groupes qui comptent. Era démontre que Disappears aura une vie après Steve Shelley.
Era est tout sauf un disque facile d’accès. Il se mérite et en vaut la peine. C’est un ensemble, un tout, à écouter d’un bloc et à de multiples reprises pour en mesurer la classe et la cohérence. Avoir en tête les enregistrements précédents du groupe permet de mesurer la recherche sonore de celui-ci. L’album surprend par sa variété, séduit par sa logique. L’obsédant et parfait sample d’intro et (d’outro) qui encadre « Girl », le déluge sonore d’ouverture, ne quitte pas l’esprit. « Era » est un tube en puissance (si l’on peut encore en 2014 employer l’expression « tube » sans crainte de la prison avec sursis ou du déclin de sa vie sociale). Charley à l’appui, Disappears réalise l’exploit de proposer un morceau dansant, « Elite Typical », au milieu d’un disque à l’ambiance pourtant relativement anxiogène. Une basse dub aux détours de certains morceaux, une batterie efficace et élégamment en retrait, des guitares qui s’empilent et s’emboîtent, une voix parfois proche de l’instrument : Era n’est pas simple, mais juste. Il prend le temps de poser les ambiances sans pour autant être lassant et accumule les répétitions. Pour le chanteur et guitariste Brian Case, la répétition est synonyme de changement : « les choses se répètent et commencent d’elles-mêmes à se transformer. L’aspect physique de nos chansons vient de là, de la tension qui naît de la répétition d’une même note pendant de longues minutes ».