Ava Luna est la preuve que l’on peut encore faire de la pop ultra référencée, sans perdre de sa fraîcheur, en ces temps rétromaniaques et archivistes. Orval Carlos Sibelius l’avait déjà rappelé l’an dernier, avec son magnifique Super Forma, qui allait beaucoup plus loin que ce qu’annonçait sa panoplie pop 60’s psyché, grâce à des compositions formidables, aussi sophistiquées que sensibles.
Ava Luna en est à son troisième album, après les très bons Services (2011) et Ice Level (2012). Le septet new yorkais mené par Carlos Hernandez poursuit sa route, perfectionne son style et affine ses références, parfait son identité avec Electric Balloon. On y trouvera, comme sur les autres albums, des morceaux aussi soul que post punk, non pas entre XTC et Prince, mais parfois XTCesques, et parfois prinçoïdes. Le morceau d’ouverture, « Daydream », pourrait sortir d’une session parallèle du Drums and Wires d’XTC, avec, comme chanteur, un David Byrne sous drogues dures lancé dans un spoken words démentiel, comme dans le « Born Under Punches » qui ouvrait Remain in Light.
Daydream :
L’éventail des références est jusque-là très ciblé fin 70’s. Si, le plus souvent, Hernandez chante soul, ses choristes/instrumentistes Felicia Douglass et Becca Kaufman s’amusent, dans « leurs » morceaux, à pasticher Ari Up et ses copines des Slits, comme sur « Sears Roebuck MnMs » :
Pourtant, la comparaison qui revient le plus souvent, dès qu’il s’agit d’Ava Luna, les associe à un groupe bien d’aujourd’hui : les Dirty Projectors. Les points communs sont nombreux, il est vrai. Il s’agit de deux combos indie-intello new yorkais, amateurs de compositions rythmiques alambiquées et de chœurs féminins omniprésents. Leurs chansons sont parfois interprétées par le leader masculin, parfois par les choristes. Et surtout, les deux groupes sont autant attirés par l’expérimentation rock que par le RnB. Les Dirty Projectors, groupe indé expérimental par excellence, ont paradoxalement connu le succès en composant l’un des tubes RnB les plus enthousiasmants depuis des lustres : « Stillness is the move ». Ava Luna propose, de son côté, et parmi bien d’autres morceaux aux tendances RnB d’Electric Balloon, un « PRPL » dont le titre évoque explicitement le nain purple de Minneapolis :
Est-ce à dire qu’Ava Luna n’est qu’une copie, pâle ou non, des Dirty Projectors ? Non. Les Dirty Projectors sont des cérébraux. Ava Luna est un groupe plus primesautier. Ce qu’ils ont en commun, c’est surtout leur passion pour la musique composée spontanément en groupe et en live. Ava Luna refuse ainsi l’overdubbing, comme le montre le passionnant reportage proposé par le site Shaking Through, qui leur a proposé le défi de composer et d’enregistrer, en studio et en une journée, un morceau inédit – l’un de leurs meilleurs d’ailleurs, « Water Duct ».
…et dont voici une version acoustique :
On ne s’inquiète pas pour Ava Luna : ils auront leur heure. Peut-être en est-on là, d’ailleurs. Ce groupe est trop généreux pour passer à côté du public auquel il s’adresse, et qui est finalement assez large. Surtout, ils sont trop talentueux, et leur enthousiasme trop communicatif. Espérons seulement que leur succès annoncé ne soit pas uniquement dû à l’élégance de leurs références, et que le groupe saura s’en détacher plus nettement à l’avenir, pour proposer un nouvel album absolument parfait et original.