Dix ans après Ingrid Caven (2000), il y avait eu Entrée des fantômes ; quatre ans après Entrée des fantômes, voici Obsessions, mince recueil de onze nouvelles altières, signées d’un dandy qui prétend n’en être pas un (mais cette auto-ironie est dandy elle-même), d’une plume souvent souveraine. On replonge beaucoup, fatalement, dans l’air un peu mythologique des années glorieuses (1970/1980), avec ses personnages : voici Warhol, Jim Jarmusch, Helmut Berger ; ses lieux : New York, les Champs-Elysées vers cinq heures du matin, divers hôtels ; ses goûts et parfums, dont, fatalement, le fameux « Obsession » qu’il aurait été impensable, vu le titre, de ne pas mentionner. Il y a du déjà-vu dans ces manipulations savantes de souvenirs crépusculaires, d’images, de noms ; mais elles atteignent parfois à la poésie pure, par exemple dans « Obsession » (titre d’une nouvelle, au singulier cette fois), où Schuhl disserte sur sa propre méthode d’écriture, à base de collages, et finit superbement sur une chute parfaite.
Surtout, il y a dans ce recueil des joyaux purs qui actualisent avec distance une sorte de quasi-fantastique fin-de-siècle, genre Des Esseintes et Beardsley transportés dans la deuxième moitié du vingtième. Les titres de ces nouvelles-là sont des programmes : « La Cravache », par exemple (titre à la Mandiargues ; mais Schuhl prend les choses avec un humour badin, décalé, perplexe, qui n’a rien de mandiarguien) ; ou, mieux, « Une robe de chambre postmoderne », peut-être le meilleur texte du recueil. A moins que ce soit « Le Pied rare », récit vraiment fantastique, pour le coup, d’un repas solitaire dans un bistrot parisien où on ne sert que du pied de cochon. Significativement, Schuhl, pour parler de la serveuse de ce restaurant, dit « la servante », comme si on était dans une auberge d’il y a cent ans ; comme si on avait changé d’époque. De fait, c’est un peu ça : Obsessions est une série de capsules à voyager dans le temps. On peut choisir la destination qu’on préfère. Beaucoup s’arrêteront vers 1980. 1890 est séduisant aussi. Un livre bizarroïde, une collection de fragments scintillants, une petite œuvre tout à fait libre, donc tout à fait inclassable. Lâchons le mot, puisqu’il est incontournable quoique usé : terriblement chic.