Quelle belle surprise que de découvrir une nouvelle bande dessinée de Hitoshi Iwaaki publiée en français. C’est avec Parasite (éditions Glénat, 10 volumes) que nous avions pu faire connaissance avec son œuvre: cette série mémorable relate la lutte entre un jeune humain et des extra-terrestres cannibales infiltrés sur terre, dont la particularité est de pouvoir changer de forme à volonté. Le jeune héros, quant à lui, victime d’une tentative de parasitage avortée de l’une de ces créatures, cohabite désormais avec elle, le bras gauche colonisé par la créature. L’originalité de la relation qui lie l’adolescent et l’extra-terrestre et la capacité d’Iwaaki à imaginer un récit à la fois drôle, émouvant et passionnant de bout en bout permet de transcender un point de départ qui ne brille pas par son audace et un style graphique quelque peu ingrat, d’où émergent pourtant des visions horrifiques frappantes, la capacité de transformation des extra-terrestres donnant lieu à des images d’altérations des corps particulièrement baroques. Le tout fait indéniablement de Parasite l’un des fleurons de la bande dessinée populaire japonaise des années 90.
D’où le plaisir de retrouver cet auteur avec ce one-shot datant de 2002 qui change complètement de registre: l’intrigue d’Eureka se situe à Syracuse en 280 avant JC, pendant la guerre qui opposa Rome et Carthage; la cité-état sicilienne, ayant pris le parti d’Hannibal, subit l’assaut des troupes romaines, et c’est lors de ce siège que s’illustrèrent les machines de guerre conçues par Archimède. Bien que le savant grec apparaisse dans l’histoire, il n’en est pas le personnage principal. Le rôle échoit à un jeune Spartiate ayant élu résidence à Syracuse, baptisé Damippos, qui deviendra l’assistant du mathématicien à la faveur des événements. Ceci dit, les véritables héros d’Eureka ne sont ni Archimède ni Damippos, mais bel et bien les inventions du savant et de son assistant, Iwaaki brodant allègrement à partir des évènements historiques pour attribuer au savant des machines de guerre diaboliquement efficaces, qui s’apparentent plutôt à des engins de torture; mention spéciale à la « roue d’Euryale », qui, bien que techniquement crédible pour l’époque, est une pure invention de l’auteur, qui donne lieu à l’un de ces scènes gore dont Iwaaki a le secret, et dont l’aspect volontairement grotesque amuse plus qu’il ne met mal à l’aise.
L’inventivité sadique dont l’auteur fait preuve sur le plan du design des armes n’est pas la seule qualité – si l’on peut dire – d’un récit qui revisite également de manière à la fois cocasse et ingénieuse l’épisode légendaire (puisque celui-ci n’est pas avéré historiquement et encore moins scientifiquement) de la défense de la ville grâce à des miroirs ayant enflammé des bateaux romains. À noter également, la capacité d’Iwaaki à développer sans mièvrerie les relations sentimentales entre ses personnages et la limpidité de sa narration séquentielle, qualité certes consubstantielle à la bande dessinée japonaise, mais qui atteint ici un équilibre d’une puissance et d’une simplicité rarement égalées. En témoigne notamment la séquence de la mort de l’un des personnages principaux, qui prouve une fois encore le savoir-faire des auteurs japonais pour susciter l’émotion par la simple juxtaposition d’images, et cela sans le secours d’une virtuosité graphique. On aimerait du coup pouvoir lire Historié, du même auteur, qui relate en 8 volumes la vie de l’un des généraux d’Alexandre le Grand, série lauréate en 2012 du Prix culturel Osamu Tezuka (la plus haute distinction japonaise pour un manga), et dont Eureka semble finalement avoir été le galop d’essai.