On connaît bien Axel Willner pour ses albums publiés sous le nom de The Field, dont le premier opus, From here we go sublime (Kompakt) avait tant enthousiasmé la critique en 2009 : on tenait là un excellent parangon de musique électronique propre à l’époque, à la fois minimaliste, post-moderne et référencée, Willner utilisant de nombreux samples issus de tubes FM. Nous avions donc de quoi nous méfier : Willner n’était-il que le right man in the right place ?
Rien n’est moins sûr. Ses disques suivants ont certes repris, peu ou prou, la même formule : d’infimes boucles de chant pop, un beat aussi froid que volontaire, très berliner Club, au son toujours identique. Rien de plus. Mais mine de rien, Willner a su évoluer, discrètement. Deux indices au moins annonçaient le changement radical qui se concrétise dans son nouveau projet, Hands. Primo, son dernier album en tant que The Field, Cupid’s head, en 2013, toujours chez Kompakt, semblait mimer, piste après piste, la métamorphose d’un habile artiste technoïde, prisonnier des rythmes binaires, en chercheur d’ambiances plus lourdes, moins minérales, moins froides. C’était d’ailleurs en cela, uniquement, que Cupid’s head était intéressant.
Deuxio, Willner a intégré à ses enregistrements, peu à peu, de vrais instruments, joués par de vrais musiciens : John Stanier (Helmet, Battles) frappait ses fûts sur Yesterday and today (2009), et les performances live de The Field ne se limitaient plus au tripatouillage d’un Mac dissimulé derrière une console ultra-tech comme chez Daft Punk. Willner, y jouait ses morceaux tels quels, mais semblait accepter de n’en fournir que le squelette électronique, laissant aux musiciens le soin de leur fournir chair et âme. La même démarche semblait motiver le Daniel Snaith de Caribou à la sortie de Swim, en 2010 : sur scène, deux batteries se faisaient face, accompagnées de guitares, d’une basse et de claviers – et ce qui était cold sur disque devenait orgiaque sur scène.
Les titres qui composent le premier album de Hands, le nouvel avatar de Willner, ont été composés avant Cupid’s head : ce n’est pas si étonnant. Willner a eu besoin d’autre chose, a tâtonné un peu, et a attendu d’être sûr de lui pour enfin publier. On le comprend : lui qui a enflammé les passions avec son premier album si froid tente aujourd’hui de convaincre avec quatre morceaux ambiants et chaleureux, émotionnels plus que minimaux, et intimes plus que clubbesques, et très proches les uns des autres, ne serait-ce que par leur longueur (une dizaine de minutes) et leurs titres, identiques : « Beelitz-Heilstätten », nom d’un sanatorium berlinois, où l’on soignait jadis la tuberculose.
Pourtant, rien dans ce disque n’évoque la maladie. Aucun son catarrheux. Tout y est, sinon clair, lumineux, quoique voilé d’une mélancolie gracieuse. Les beats, contrairement à ceux qui font The Field, sont en retrait, et laissent le premier plan à des nappes synthétiques harmonieuses, qui évoquent parfois les morceaux ambient de Boards of Canada. On y entend des rythmes discrètement mêlés, des triolets (une révolution pour celui qui a créé The Field), et du field recording tribal, comme dans « Beelitz-Heilstätten Pt 7 »
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On perçoit parfois, entremêlés dans ces sons évocateurs, des fragments de conversations, murmurés, chuchotés par un couple, dont on ne sait s’il est en rupture ou en danger (« Beelitz-Heilsätten Pt 10 »). Dans « Beelitz-Heilstätten Pt11 », un enfant crie, effrayé ; un homme, son père probablement, bredouille des paroles rassurantes. On ne distingue pas ce qui se dit. Ce qui compte, ce sont les intonations humaines les plus spontanées, c’est-à-dire ce que la musique électronique ne peut pas reproduire.
Voilà où en est Axel Willner, et voilà ce qui fait de lui, soudain, un musicien vraiment intéressant à suivre. Les louanges systématiques que lui valent les albums de The Field ne lui suffisent plus, et semblent même le museler. Willner a besoin d’humanité, d’émotion : The Soul is Quick exprime au moins cela, et il le fait subtilement. On attend la suite avec impatience.