Avec Lightning Returns, Final Fantasy n’a jamais aussi bien porté son nom : à force de nous prédire la fin du monde, il fallait bien que celle-ci arrive pour de bon. Lorsque le jeu débute, 500 ans se sont écoulés depuis l’épisode XIII-2, et le dieu Bhunivelze a décidé de tirer le rideau. Dans treize jours au maximum, l’univers sera détruit. La seule chance de salut n’est autre que Lightning, la Libératrice revenue d’on ne sait où pour apporter la grâce aux quelques âmes méritantes. Perdu entre mélodrame, opéra-bouffe et métaphysico-théologo-cosmolo-nigologie, le joueur se demandera sans doute dans un premier temps ce qu’il fait là. D’autant que la structure en temps réel, la myriade d’objectifs mal expliqués, et surtout les quêtes d’ouverture sous forme d’un jeu de piste mal fichu font tout pour le désorienter. On en viendrait presque à regretter les couloirs de FF XIII… Et puis avec un peu de bonne volonté, on se laissera peut-être porter, parce que pour être un épisode mineur, Lightning Returns a le mérite d’assumer son statut de jeu décadent.
Que reste-t-il à faire, treize jours avant l’apocalypse, si ce n’est revisiter les lieux communs d’un univers en pleine déliquescence, impression d’autant plus prononcée que pour suivre, le moteur graphique doit sacrifier les textures ? Avec ses quatre décors, Lightning Returns est un parc à thème Final Fantasy XIII, qui nous laisse un dernier tour de manège avant le dépôt de bilan. Les Dunes de la mort et les Terres sauvages, repaire des derniers chocobos, nous rejouent Gran Pulse et la chasse aux monstres géants. Luxerion, la cité gothico-futuriste, où s’affrontent l’Inquisition et les hérétiques, est le prétexte d’une critique sociale au débotté, qui manque cruellement de mordant. Yusnaan, la cité des plaisirs dirigée par un Snow reconverti en tyran de la bringue style David Guetta, vaut par contre le voyage. Rarement la série a autant lâché les amarres, avec ces personnages sortis d’un carnaval des années 70, ces quêtes secondaires qui nous font jouer les Gordon Ramsay, le tout sous une pluie de feux d’artifice… tous les voyants du nawak sont dans le rouge, et ce n’est pas pour nous déplaire.
Ce monde ouvert invite immanquablement à la déambulation, et donc à la perte de temps. Sous ses airs de Majora’s Mask, Lightning Returns lorgne plutôt du côté du Yakuza de Sega, un Yakuza déconstruit et speedé, dans lequel l’héroïne est semblable au White Rabbit de Lewis Carroll — et de Jefferson Airplane
–, elle a toujours un train de retard. Lightning ressemble parfois plus à une coursière de la fin des temps qu’à une véritable héroïne, mais la nécessité de respecter un emploi du temps parvient à donner au jeu une forme d’urgence. Si la tension entre exploration et pression de l’horloge n’est pas assumée jusqu’au bout, puisque le joueur malin saura utiliser les pouvoirs de l’héroïne pour dilater les heures, cette structure constitue la principale réussite ludique d’un titre qui se cherche, sans réellement parvenir à trouver son assiette. Le système de combat en temps réel est trop brouillon pour réellement convaincre, et les changements de costume que le marketing a beaucoup mis en avant, collent certes avec l’aspect carnavalesque de l’univers, ils rappellent bien le système des jobs façon FF V et Tactics, mais ils tiennent plus du gadget que d’autre chose.
En attendant Final Fantasy XV qui n’est pas pour tout de suite, Lightning Returns est l’épisode symptomatique d’une série qui ne sait plus trop à quel saint se vouer… Ce qui le rend aussi décevant qu’intéressant, aussi raté qu’audacieux, quelque part entre exploitation et expérimentation. On peut y voir une part de cynisme : la confusion de l’aventure n’est-elle pas le meilleur moyen de vendre le guide du jeu ? En nous resservant jusqu’à la nausée des personnages que l’on pensait morts et enterrés, Square Enix ne tire-t-il pas trop sur la corde ? Peut-être. Mais dans ce vaste bazar il y a aussi une forme de subversion, dans la mesure où la série n’abandonne pas sa quête du nouveau, au risque de désorienter une partie de son public, au risque de se planter complètement. Cette part chaotique est incarnée par Lumina, le personnage le plus intéressant du jeu. Jeune fille espiègle, elle ressemble comme deux gouttes d’eau à Serah la sœur perdue, mais passe son temps à se moquer d’une Lightning toujours aussi cool mais comme vidée d’émotions, transformée en bon petit soldat de la cause divine.
C’est qu’à travers le brouillard de cinématiques aussi impressionnantes que mal racontées, à travers les heures perdues à farmer les quêtes secondaires, à travers les tonnes de fanservice, Lightning Returns garde quelque chose de blasphématoire, une colère qui ne manque pas d’intriguer faute de totalement convaincre. Final Fantasy a connu de plus lumineuses heures, mais après tout il n’y a pas de mal à se laisser tenter par cette décadanse : « Dieux! / Pardonnez nos offenses / La décadanse / A bercé/ Nos corps blasés / Et nos âmes égarées ».