Résister ne sert à rien a reçu l’an dernier le prix Strega, l’un des plus célèbres en Italie. Comparable à notre Goncourt par la popularité, il s’en différencie par son jury (400 personnalités du monde littéraire, soixante lecteurs sélectionnés par les libraires et dix instituts culturels) ; décerné en juillet, il a consacré par le passé des romans classiques comme Le Nom de la rose d’Eco (1981) ou Le Guépard de Lampedusa (1959). Il a aussi contribué à la notoriété de Niccolo Ammaniti, Tiziano Scarpa ou Alessandro Piperno. Critique, professeur à l’Ecole normale de Pise, éditeur de Pasolini, Walter Siti était déjà une personnalité en vue lorsqu’il a reçu le Strega, notamment grâce à ses Leçons de nu, parues chez Einaudi en 1994. On a aussi pu lire en français Une douleur morale, traduit l’an dernier chez Verdier. Résister ne sert à rien tranche avec les thèmes intimistes de ce dernier : c’est une comédie féroce sur la finance et les élites italiennes, ainsi qu’une dénonciation des liens du monde de l’argent avec le crime organisé. Tout commence lors d’une soirée mondaine, à Rome, où le narrateur, écrivain, rencontre un trader, Tommaso ; il décide de raconter son histoire. Enfance modeste, adolescence complexée en raison de son obésité, puis découverte des maths et de la finance, avec les à-côtés habituels : train de vie délirant, débauche sexuelle, etc.
De loin, on dirait une version italienne du Loup de Wall Street, de Scorcese. Mais la virtuosité du cinéaste américain fait ici défaut : tout est confus dans ce récit aux coutures lâches, où la liberté du ton cache mal la pauvreté du matériau romanesque. Le registre ordurier des personnages donne lieu à des répliques d’une grande délicatesse, que l’auteur entasse complaisamment (« Plus que l’odeur de la chatte, ce qui compte c’est le parfum du pognon »). Mais surtout, c’est le cœur du texte, la critique de la finance, qui semble convenue et sans relief. Suffit-il de saupoudrer les pages de fat tails, buy-back et autres morceaux de jargon pour pénétrer les mécanismes de la spéculation ? Ou de mettre dans la bouche des personnages des réflexions cyniques (« Opprimer est un plaisir, être dans les premiers un impératif, et la possession est l’unique mesure de valeur ») pour dévoiler la psychologie des maîtres du monde ? La plume de Siti semble parfois échapper à son contrôle, d’où des phrases incompréhensibles telles que : « L’homme politique qui entretient des relations cordiales avec la finance à background criminel peut se raconter qu’il mène un travail en synergie pour un unique résultat hétérodoxe de réformisme structurel ». L’apparition de personnalités réelles, notamment l’inévitable Berlusconi, explique peut-être l’intérêt des lecteurs italiens pour ce roman brouillon dont les sujets ont déjà été souvent traités, presque toujours mieux.
Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.