Sorti en salles en 1997, Julie est amoureuse est le premier long-métrage de Vincent Dietschy, qui a depuis tourné un autre long (Didine, en 2008, avec Géraldine Pailhas et Benjamin Biolay) et un court, La vie parisienne, qui lui a valu de gagner le prix Jean Vigo. Il aura donc fallu attendre quinze ans pour cette sortie DVD, et l’on s’étonne en le voyant que le film n’ait connu destinée plus glorieuse, à la mesure de l’ambition qui est la sienne et qui est, d’une manière générale, de moins en moins récompensée : être singulier et populaire à la fois, creuser sa propre singularité non pas pour s’éloigner mais pour rejoindre le public.
Ce destin est peut-être à mettre sur le compte de l’ambiguïté qui traverse Julie est amoureuse, film très simple, très abordable, mais faisant l’effet d’une sorte d’enclave qui ne doit rien à personne si ce n’est à quelques influences dont Dietschy, tout en en prélevant le meilleur, n’en sature jamais son film : Renoir, le classicisme hollywoodien, un certain Pialat dont Dietschy retient l’art de capter la simplicité des caractères, la clarté des cœurs, ainsi qu’un goût pour le mélange des registres d’acteurs. Enclave également parce que Julie est amoureuse ne cherche jamais à donner une image de son époque (ne serait-ce que par les vêtements, les façons de parler, la jeunesse), mais dresse davantage un portrait de son réalisateur. Le film fait ainsi l’effet d’une sorte de rêve maîtrisé, ordonné de façon quasi maniaque, et qui ne se référerait à aucun dehors. Julie est amoureuse ne renvoie ainsi à aucune sociologie de l ‘époque, et semble même revendiquer cette douce atemporalité, qui traverse l’intrigue comme le jeu des acteurs – le film aurait ainsi très bien pu voir le jour en 1987 ou en 2007.
Michael Monk (le massif François Chattot), célèbre comédien, et son épouse Emilie (la malicieuse Anne Le Ny) partent comme chaque année en vacances dans leur château en Dordogne. Dans la ferme voisine une troupe de théâtre amateur prépare une représentation de Roméo et Juliette sous la direction de Bart (Aladin Reibel), assisté de son amoureuse Julie (Marie Vialle). Emilie enjoint son mari à diriger la troupe, rêvant secrètement de s’acoquiner avec ces jeunes amateurs le temps de ces vacances devenues, au fil des années, un peu monotones. Les répétitions très soutenues n’en seront pas moins scandées par des rivalités autant sentimentales que professionnelles. Ici pourtant, nulle complaisance dans les jeux de l’amour et du hasard, aucun dandysme du cœur. Le film se développe à rebours des habituels badinages qu’on attendrait d’un film français : c’est le sérieux au travail des héros qui menace à chaque instant le cours des intrigues amoureuses, et non l’inverse.
On attend que les couples s’intervertissent, que des baisers s’échangent, que l’un profite de telle situation, il n’en est presque rien. Toute l’énergie est donnée à la répétition de la pièce, et cette énergie, c’est celle de l ‘amateur, mélange d’innocence et d’intelligence du cœur. Amateurisme moqué lors de la très belle scène où Emilie Monk tente de convaincre son mari de diriger la troupe : celui-ci s’y refuse par snobisme, puis silencieusement comprend qu’il n’y a finalement pas de différence entre lui et eux, et que la circulation de l’un à l’autre est permise – le professionnel acceptera de redevenir amateur pour s’occuper de la jeune troupe. C’est par cet éloge de l’amateurisme, comme rapport au monde, que Dietschy rejoint un cinéaste comme Jean-Claude Biette, qui avait justement fait du théâtre amateur l’un des thèmes central de son cinéma. Dietschy aurait pu lui emprunter cette réplique du Champignon des Carpathes : « La vie est trop courte pour que nous soyons autre chose que des amateurs ».
Comment donc filmer la moindre lutte avec si peu d’obstacle, avec la simplicité de cœur des uns, la persévérance dans le travail des autres ? C’est l’histoire de Julie est amoureuse, et l’art du paradoxe de Dietschy : filmer des gens au travail au cœur d’un film de vacances, des conflits sur arrière-fond de bonheur, comme on ferait s’entrechoquer des plumes. L’autre paradoxe, c’est la façon qu’à Dietschy de dilater la narration à l’intérieur d’une forme pleine, extrêmement maîtrisée. Tel un élastique, le film se distend, se ramifie d’autant plus qu’il est sûr de retrouver sa forme initiale – c’est peut-être au fond simplement la loi du classicisme américain qui innerve Julie est amoureuse. On pense à Lubitsch comme à son élève Billy Wilder, et plus particulièrement au tardif Kiss me, stupid, à qui Dietschy emprunte à la minute près son ambitieuse durée : 2h06. Cette influence n’est pas pour rien dans l’étrangeté du film : on a parfois l’impression d’avoir à faire à une traduction française du classicisme hollywoodien. Dans le passage de l’un à l’autre, un reste demeure indompté, intraduisible dans les termes du cinéma français, et laissé comme tel, à moitié traduit, à cheval entre deux langues, ce qui produit un exotisme de toutes les scènes.
Modèle d’écriture, Julie est amoureuse allie parfaitement l’aventure sentimentale, le désir de l’intrigue et la clôture classique. Il faut ainsi penser à son titre, mystérieux, l’avoir en tête tout du long, tant ce mince et fluet « Julie est amoureuse » étonne au regard de la profusion d’intrigues et de personnages. Le titre résonne alors comme ce qui insiste à travers la cacophonie : le gentil badinage estival est en fait une comédie sur le travail, le sérieux, la vocation, la fidélité à soi-même, qui trouvent dans ce classicisme la forme la plus apte à les recevoir. C’est en s’avançant masqué, en se faisant prendre pour ce qu’il n’est pas, que Julie est amoureuse finit de réconcilier les opposés : il n’y a pas plus sérieux que la comédie, pas plus exigeant que l’amateurisme, le travail ne s’oppose pas à l’amour, il le comprend, peut-être même le dépasse, et si Julie est amoureuse, c’est de sa vocation.