La simplicité est souvent le meilleur gage de confiance en soi, et Memories of Celceta fait dès l’abord preuve d’un belle assurance. Un générique en dessin animé, quelques rapides scènes d’introduction, une mine sauvée des monstres en guise de tutoriel, et nous voici déjà plongés au cœur du jeu. Il y a une forêt mystérieuse, allez l’explorer, voilà tout. Les clichés sont crânement assumés, à l’encontre du jRPG bavard, grandiloquent, qui s’acharne à tout compliquer par principe, pour se donner des airs. Le jeu est semblable à Adol Christin, jeune amnésique aux cheveux rouge et héros récurrent des action-RPG de Falcom, développeur historique de Y’s. Il ne se pose pas de question, et part à l’aventure sans nous épuiser dans les circonlocutions.
L’amnésie n’est d’ailleurs pas tout à fait gratuite, dans la mesure où elle permet au jeu d’introduire le thème de la remémoration. Au fil de l’histoire, Adol retourne sur ses pas, il redécouvre des lieux visités mais qu’il avait oubliés, il rencontre des personnages qui le connaissent déjà sans qu’il le sache, et regagne les souvenirs perdus. Ys s’inscrit de la sorte dans une logique des retrouvailles : d’abord parce que Memories of Celceta est une relecture qui croise les deux épisodes quatre de la série, sortis en 1993, l’un sur PC Engine, l’autre sur Super Famicom. Mais surtout parce qu’il s’agit pour Falcom de ressusciter le plaisir de l’aventure à l’ancienne, d’affirmer la jeunesse éternelle du RPG japonais, l’infinie fascination qu’exerce sur nous le voyage d’un héros intrépide et de ses compagnons, radieux d’énergie, de naïveté, d’enthousiasme… Ys est une fontaine de jouvence, et le joueur y retrouve ses éternels douze ans, les problèmes en moins.
Face à notre joyeuse bande, la forêt est un antagoniste de taille. Au sens propre, dans la mesure où le terrain à explorer, luxuriant labyrinthe bourré de culs-de-sac, paraît vaste pour qui s’y perd. Certes, on devra faire un petit effort de suspension d’incrédulité quand les personnages seront stupéfaits de découvrir, à quelques dizaines d’écrans de leur porte, un village dont ils ignoraient totalement l’existence. Mais cette distance constitue le juste équilibre pour mettre entre les mains du joueur, sur l’écran de la Vita, un petit monde clos, suffisamment restreint pour rester accessible, et assez vaste pour désorienter. Memories of Celceta n’oublie jamais qu’il est un jeu portable, et parsème sa forêt de téléporteurs. Qu’il parvienne pour autant à nous donner l’impression de voyager est à mettre au crédit d’une réelle science du level-design, et d’une direction artistique qui donne vie et profondeur aux décors.
Les combats sont aussi incessants que dynamiques, aussi simples que gratifiants. La forêt est peuplée d’une faune agressive, variée, vivante : des gorilles vous bondissent dessus, des hommes-grenouilles vous tirent la langue, des guêpes vous tendent un guet-apens… Rien que quelques coups d’épée ne puissent résoudre, mais le carnage permanent qui rythme les pérégrinations des héros est d’autant plus agréable que les commandes répondent au doigt et à l’œil : les personnages glissent au sol avant d’expédier les ennemis en l’air et de les larder de combos, le joueur passe en une pression de bouton d’un combattant à l’autre pour exploiter la faiblesse d’un adversaire, et les monstres vaincus explosent en un feu d’artifice de matériaux à collecter.
Ces dépouilles, ainsi que les ressources qui apparaissent sur la carte (plantes, gisements de minerai) sont un élément essentiel de l’économie du jeu. Car dans Memories of Celceta exploration rime avec exploitation. Les matériaux récoltés permettent d’améliorer de manière significative l’équipement des personnages grâce à un système d’artisanat. Le jeu encourage de la sorte un grind à la Diablo ou à la Dragon Quest IX, qui n’est pas nécessaire pour finir le jeu, mais qui permet de se faciliter la tâche. Cet aspect renforce la portabilité du jeu : il y aura toujours quelque chose à faire, même entre deux arrêts de métro il nous sera loisible d’aller tuer quelques monstres histoire de récolter deux ou trois peaux, ou d’accomplir une quête secondaire. Il n’y a pas de petits gains dans l’économie capitaliste du RPG. Malheureusement, ces systèmes manquent de profondeur, et le jeu s’avère trop facile en mode normal pour que cet aspect retienne bien longtemps l’attention. Les énormes boss et les donjons, passages obligés de tout Ys, ne sont guère que de faibles obstacles face à un groupe de personnages surpuissants.
Alors que le jeu pourrait s’étioler au bout d’une quinzaine d’heures, il nous surprend pourtant à nouveau. A force de vignettes dialoguées, certes un peu gnangans, et retournements de situation, eh oui, un peu prévisibles, on fini par s’attacher à ces adolescents et leur destin. Leur histoire, qui semblait au second plan, prend au fur et à mesure le devant, et apparaît, de plus en plus pressante, l’envie de savoir la suite. Oh, l’histoire n’a rien de bien formidable, mais progressivement elle a tissé sa toile, et nous voici pris au piège, comme par le passé, comme si l’on découvrait pour la première fois ce conte mille fois vu. Comment refuser pareil enchantement ?