Un an après avoir inhumé Rochant dans le cercueil d’Hitchcock (Möbius, colis piégé), nouvel enterrement en grande pompe pour le cinéma français : celui de Christophe Gans. Entre ces deux promesses de résurrection de vieilles comètes en perdition, il y a un peu plus qu’une coïncidence de calendrier. Retour au source, couple glamour, longues focales dégénérées : les ingrédients sont à peu près les mêmes, rondement amalgamés derrière un identique enrobage démagogique (le film populaire aux prétentions d’esthète). Sauf qu’au grand banquet attendu, ce festin d’arabesques hollywoodiennes à la table duquel on était franchement prêt à se goinfrer, nous voilà encore à digérer un blockbuster made in France à courte date de péremption.
On a le choix pour mesurer l’échec de Gans. Côté prétentions d’esthète : Cocteau. Dans une ambiance aérienne et veloutée, l’aède des Années folles époussetait l’atmosphère renfermée de la fable avec une légèreté canaille, gouaille et angoisse parfaitement entremêlées, tout en profitant de cette claustration pour faire résonner sa féérie brutale, où tout était affaire de lapsus et de littéralité (la Bête y mourait à petit feu, les miroirs y déclaraient très simplement : « Réfléchissez pour moi, je réfléchirai pour vous. »). Emporté par son enthousiasme, Gans pallie lui son déficit de poésie par une stratégie de l’imaginaire en panique, triturant les pages du conte les doigts pleins de peinture, comme sous l’emprise d’un mauvais LSD. Les fantasmagories cendreuses de Cocteau, ces images qui semblaient se consumer plus que se projeter, laissent place à un vernissage surnaturel dégoulinant, une prolifération strictement calligraphique qui ficèle et étouffe le récit, comme ces plantes grimpantes sur les murs du château de la Bête.
Côté film populaire : Disney. Du dessin animé de la firme, on garde surtout en mémoire un fulgurant prologue, qui dépeçait un conte déjà bien aride pour n’en conserver que le noyau (un monstre poilu menacé par un compte à rebours lui-même conjuré par un antidote : l’amour). Vendant du merveilleux et de la morale avec trois vitraux et une voix off, il synthétisait le programme hypocrite mais bienveillant de tout Disney : la fusion de la leçon parentale et du rêve d’enfant. En prétextant un retour à l’oeuvre originale (celle de Madame de Villeneuve, plus soap que celle de Madame de Beaumont), Gans et sa scénariste désaxent le précis de probité pour s’engouffrer tête la première dans le mythe grandiloquent. Affolé comme une girouette, le récit part alors dans tous les sens, écartelé aussi bien par le haut (un animisme nébuleux, façon animation japonaise) que par le bas (un gros micmac familial, façon feuilleton américain). Résultat des courses : ni Miyazaki ni Dallas ne réussissent vraiment au réalisateur de Crying Freeman. Et sous ses airs de blockbuster hivernal bien apprêté, La Belle et la Bête traine un storytelling de téléfilm de Noël.
On est surtout étonné de voir Gans refuser de continuer là où Le Pacte des Loups, déjà, ne s’était pas assez longuement arrêté. Cassel, en drag queen mutilée et sadique, y était amoureux d’une belle intouchable, sa soeur. C’était la virilité torturée contre la féminité virginale, et c’était au fond, et quoique que déjà diluée dans les boursouflures référentielles, la vrai marotte de l’ancienne coqueluche de Starfix : plutôt que le mariage beauté-laideur, la schizophrénie bâtardise-pureté (le fin de race, héros gansien par excellence). Avec son western pluvieux et cocardier, le cinéaste avait au moins le mérite de faire tenir ensemble culture pop et Ancien Régime, kung fu vidéoludique et mythes ancestraux, sans jamais se barricader derrière l’ironie ou la désinvolture. Dans La Belle et la Bête, cette hybridité bancale est délaissée au profit d’un milk-shake digital complètement invertébré, enfilade d’allusions et de climax mixée de force dans la grande centrifugeuse numérique. Il y a de quoi se moquer mais on est plutôt triste, en vérité, de voir Gans revenir des limbes avec la promesse d’un Pacte des Loups aux pays des fées, et de découvrir dans nos assiettes un grumeleux Silent Hill pour fifilles.