En cet été 1994, la Scanie, région méridionale de la Suède, est secouée par une série de meurtres sauvagement commis par un tueur scalpeur et acharné du maniement de la hache. L’enquête est conduite par le déprimant inspecteur Kurt Wallander, qui découvrira la raison de l’hécatombe, une sordide histoire d’exploitation sexuelle de toutes jeunes filles.
Sans prétendre à la production d’un chef-d’œuvre, Henning Mankell aurait pu s’atteler à un honnête roman policier de facture classique. L’entreprise semble le dépasser. Une prose poussiéreuse et soporifique traîne poussivement, sur plus de 500 pages, une intrigue sans surprise et sans consistance. Le Guerrier solitaire ne brille ni par l’originalité, ni par un habile traitement du suspens. Et encore moins par l’épaisseur psychologique des personnages ou par l’efficacité d’un style assuré. Pourtant, les premiers chapitres ne préludent pas à tant de désappointement. La rapide présentation des protagonistes et des événements, servie par une succession de phrases courtes, directes, effilées, nous plonge au cœur d’un drame que l’on espérait complexe. On attend en vain un développement palpitant, l’irruption de l’inquiétude, la coulée de sueurs froides. Ou au moins un exercice mental imposé par un auteur retors émaillant son récit de fausses pistes et d’indices trompeurs.
Faisant fi de tout cela, Mankell prend un malin plaisir à dilapider prestement son maigre viatique fictionnel pour mieux nous projeter dans le monde fabuleux des extraordinaires états d’âme et des puissantes pensées de son héros, Wallander. Un homme austère mais sensible qui n’arrive pas à ouvrir la bouche sans proférer de confondantes banalités. Ses considérations sur la météorologie, l’évolution de la société suédoise ou l’explosion de la violence demeurent bien en dessous du niveau de pertinence de n’importe quelle discussion de comptoir. Le personnage, conservateur -si ce n’est un tantinet réactionnaire- et dépressif, aurait pu être mieux exploité, d’autant plus que sa vie amoureuse et familiale est méticuleusement exposée. C’était là l’occasion d’étoffer son caractère, d’échapper au grotesque superficiel, de le rendre plus humain, plus émouvant. Encore un rendez-vous manqué.
Toujours plus fort, passons au cas du tueur. Un adolescent perturbé dont la sœur a été livrée au plaisir pervers de notables vicieux par un père indigne, brutal et alcoolique. C’est un passif déjà pesant et amplement suffisant pour pousser à un acte criminel, mais le garçon a aussi de mauvaises influences. Evidemment, elles viennent d’outre-Atlantique. Il lit des comics, dialogue avec les mânes de Géronimo et voue une admiration sans borne à l’ancien patron du FBI, Hoover. L’obsession des Etats-Unis comme foyer originel probable de la barbarie moderne revient d’ailleurs fréquemment dans les fulgurantes réflexions de Wallander.
La critique de la société suédoise ne frappe ni par sa profondeur, ni par sa virulence. Elle se résume à une litanie de regrets pathétiques, de radotages nauséeux. A une nostalgie de l’époque bénie et presque disparue où le pays était stable, sain et « propre », où on ne diminuait pas de manière drastique les effectifs de la police. Un temps où « les vrais grands délinquants » agissaient selon les règles, où la pauvreté économique existait peut-être, mais pas la misère familiale. Mankell se rattrape timidement en dénonçant le trafic de jeunes femmes sud-américaines, destinées à la prostitution. Et encore le ton employé est-il celui d’un affligeant misérabilisme.
Le Guerrier solitaire est un livre ennuyeux, sans mystère, linéaire. Aussi passionnant qu’un épisode de Derrick. A tel point qu’un doute peut assaillir le lecteur navré : Henning Mankell ne serait-il pas un génie astucieux, un dynamiteur pince-sans-rire de la littérature policière, un pasticheur de talent poussant le jeu jusqu’à la tentative de destruction du genre ?