Ecrit en moins de quinze jours sur un livret de Rossi, lui-même inspiré de la Jérusalem délivrée du Tasse, ce Rinaldo, prototype même de l’opera seria à l’italienne alternant airs et récits, permit au tout jeune Haendel (il n’avait pas 26 ans) d’entrer par la grande porte sur la scène anglaise du début du xviiie siècle, inaugurant une grande histoire d’amour qui allait durer plus de cinquante ans. L’œuvre sera représentée pas moins de quinze fois en une saison, un immense succès pour l’époque. Ce fut l’occasion d’éblouir le public londonien avec des machineries imposantes, de puissants effets de tonnerre et de flammes, jusqu’à des lâchers de moineaux qui n’allèrent pas sans soulever certains sarcasmes. L’auditeur du xxe siècle a bien du mal à imaginer la splendeur d’une représentation, lorsque, carré dans son fauteuil, il subit une succession de récitatifs bien indigestes desquels même la beauté des airs qu’ils précèdent ne peut faire oublier l’ennui. Il faudrait de la part des interprètes bien de l’entrain et de l’inventivité pour gommer cette monotonie en variant à volonté les effectifs dans le continuo ou en mettant en avant, par un travail sur le timbre mis au service de la théâtralité du texte, la diversité des passions mises en jeu même si elles sont quelque peu conventionnelles. Hélas, ni la direction de Hogwood, globalement pesante et sans grâce, ni l’interprétation des chanteurs, qui font pourtant de louables efforts, ne parviennent à maintenir durablement nos sens en éveil. Il y a pourtant de fort beaux airs, d’ailleurs généralement très réussis (Augelletti che cantate ou Lascia ch’io pianga d’Almirena / Bartoli, Cara sposa amante cara de Rinaldo / Daniels, l’envoûtant Il vostro maggio des sirènes) et Dieu sait que Haendel n’est pas avare d’effets de tonnerre, éclairs et autres airs guerriers dont le Vo far la guerra d’Armide / Orgonasova est un brillant exemple. Il y a d’ailleurs dans cet air une époustouflante partie de clavecin obligé, reliquat dit-on des somptueux accompagnements dont le jeune Haendel agrémenta les représentations et qui participèrent de sa gloire. Mais les très nombreux récits sont trop peu accrocheurs et les interprètes, chanteurs et continuistes, ne s’y montrent ni brillants ni imaginatifs passant parfois à côté d’effets que le texte suscite à l’évidence (Che posso a pena articolar gli accenti de Rinaldo / Daniels). En traitant avec autant de soin les récitatifs que les airs, cet enregistrement aurait pu figurer plus qu’honorablement dans une discographie haendélienne qui manque toujours d’une version convaincante de ce Rinaldo. Le défi reste à relever…
Bernarda Fink (Goffredo), Cecilia Bartoli (Almirena), David Daniels (Rinaldo), Daniel Taylor (Eustazio), Gerald Finley (Argante), Luba Orgonasova (Armida), Bejun Mehta (Mage), Ana Maria Rincon (Une femme), Catherine Bott (Deux sirènes), Mark Padmore (Un héraut). The Academy of Ancient Music, dir. Christopher Hogwood.