Surprise pour ce petit long-métrage qui se révèle comme une fiction politique tout à fait louable dans le champ cabossé du cinéma français. Mais pour en comprendre la modeste mais singulière réussite, il faut d’emblée dépasser l’impression de fantaisie vaniteuse imaginée pour satisfaire les envies de comédien de Christophe Barbier. L’éditorialiste, jusqu’alors réputé pour ses couvertures racoleuses de l’Express et son histrionisme vide de commentateur politique, y change soudainement de braquet sous le regard attentif de son épouse, ici préposée à la réalisation. Au cabotinage exalté qu’il sert usuellement sur les plateaux télé, voilà qu’il substitue une mise en miroir parfois critique mais jamais amère de son propre personnage public. C’est donc en passant réellement par la comédie qu’il prend soin de révéler la comédie du politique. Mais cette farce étant toujours aussi une passion (« ma seule passion » fait-il dire à son personnage qui se déclare « interprète de l’opinion »), elle verse aussi dans le drame, et c’est de ce rapport problématique entre la tragédie et la comédie que le film s’empare avec une belle frontalité théâtrale.
Paul (Benjamin Biolay), journaliste de gauche, est en couple avec Albertine qui est une jeune comédienne de théâtre. Il ne s’entend plus trop avec son meilleur ami, Chris, dont la profession dans un institut de sondage, l’a rendu agnostique sur la chose politique. Que peut-on croire encore à l’heure des idéaux étouffés sous le poids du réalisme le plus plat ? La question est incessamment débattue entre les deux amis, de dîners en conversations téléphoniques égrenées sous le mandat de Sarkozy. En filigrane, c’est tout l’échec d’une gauche responsable qui entretient amèrement le fil de ce dialogue compliqué. Échec que le film noue autour de la figure de DSK, qui est aux yeux de Paul « de l’intelligence en mouvement », avant de sombrer comme on sait dans un plat de jambes en l’air. Doutes n’hésite pas ainsi à rappeler qu’il y eut aussi des cocus dans l’histoire (« on a tous eu envie de se taper DSK, de se faire enfiler ») et que nous en portons tous les cornes. Tragédie en quelques actes donc, pour ce film, qui passe de la prose à la poésie (« j’ai toujours aimé les assonances et les allitérations » confesse même Paul avant de s’inquiéter de savoir si c’est suffisamment « stylé ») pour avouer la dimension artificielle de ses joutes politiques.
Car ce qui pourrait n’être qu’une entreprise narcissique claquemurée entre les pièces de deux appartements parisiens se présente en effet très vite comme un idéal de réflexion sur le sujet, tant sa forme politique se redouble d’une politique de la forme. Toute l’intelligence du film est précisément de ramener la vaste théâtralité des affaires publiques à la nudité rigoureuse d’une scène. En débarrassant le spectacle de ses décors et draperies, il ne s’attache plus qu’aux mouvements du zoon politikon montré avec finesse comme un corps sentimental. C’est là, dans ce rapport inextricablement noué entre l’intime et le collectif, entre les amours sensuels, les fidélités amicales et les admirations politiques, que le film redonne ses lettres de noblesse à la grammaire usée du champ – contre-champ pour en libérer toute la puissance dialectique trop souvent négligée. Armé de ce dispositif radical, le film s’ouvre alors à un horizon réflexif audacieux : héritage générationnel (« Je déteste les rideaux, ça fait vieux, ça me rappelle Mamie »), devoir de mémoire (« Mes filles elles jouent pas à chat. Elles ont remplacé par Shalom, ça se passe entre Israël et Gaza »), métaphysique en tube (« Ma femme n’est pas logique, elle est téléologique ») et futurologie (« on a besoin de chaleur, de réconfort. C’est pour ça qu’on a facebook et twitter »). Le film fait feu de tout bois, ne s’interdit aucun hors piste, jusqu’à l’épiphanie politique sans retour comme ce qui est dit sur « cette pauvre meuf qui a pas baisé depuis trois ans, elle ressemble à Cécile Duflot ».
Mais cette ambition sinuant sous la modestie de son dispositif n’est possible que par les figures gémellaires de ses deux principaux protagonistes. Benjamin Biolay trouve ici enfin un rôle à sa mesure, navigant entre la présence spectrale d’un Pacino, la mélancolie du Léaud de La maman et la putain et le jeu tout en intériorité de l’épagneul qu’ils ont adopté. Il lui faut pour cela un partenaire de jeu au diapason et qui pour la première fois semble dénouer le secret vestimentaire qui illumine de son éclat purpurin la politique française de cette dernière décennie. Car la voilà l’écharpe rouge de Christophe Barbier, fétiche lumineux navigant dans le cadre au point de le magnétiser et en dédoubler l’image. Derrière la littéralité frontale de la mise en scène, ce signe symptôme convoque les figures fantomatiques de Mitterrand et d’Aristide Bruand et signe le souvenir mélancolique d’un mariage impossible entre gauche poétique et gauche de gouvernement. C’est que derrière le rideau de la politique, il y a toujours des morts, des regrets amers et des arrières scènes vides que le film rappelle sans l’air d’y toucher. Ne reste plus alors qu’à célébrer ceux qui restent, la qualité des vivants, les bons plats qu’on cuisine (« je voulais leur en foutre plein la vue mais j’en ai mis plein le carrelage et les fringues »), le goût du vin et des amours qu’on ira empailler devant les façades cireuses de Venise.
Belle conclusion pour un film qui rappelle, le jour dévolu à la gentillesse, combien les films ne devraient jamais être que des objets gentils abritant les désirs de leurs spectateurs.