Revenu avec un bilan plus (Délire express) ou moins (Baby-sitter malgré lui, Votre majesté) positif de son triple voyage humoristique en terres hollywoodiennes, David Gordon Green retrouve le décor et l’économie des films qui, inaugurant son œuvre, avaient fait de lui voilà dix ans la coqueluche du jeune cinéma indépendant américain. Ce n’est pourtant pas tout à fait un retour aux sources. D’une part, parce que le décor, ce Sud de l’Amérique auquel le jeune cinéma de DGG fut le premier à revenir avec George Washington, n’est plus vierge : pendant son absence, d’autres l’ont arpenté à leur tour (dont l’un, Jeff Nichols, avec un talent nettement supérieur), accouchant d’une mode (le « southern gothic ») et d’une pelletée de films étiquetés malickiens à tort et à travers par la presse trop heureuse de se voir offrir une si commode boussole. À ce titre, Joe, que DGG a tourné dans la foulée de Prince of Texas et qui devrait sortir début 2014, fait une impression assez triste, poussant cette americana retrouvée à un degré de caricature qui confine au pastiche – on y reviendra le moment venu. L’économie, ensuite, est certes minimale, mais, de ses vacances californiennes, DGG a ramené deux visages connus, dont l’un (Paul Rudd) rappelle directement son passage dans l’écurie Apatow.
Mais le visage (toujours aimable) de Paul Rudd n’est pas le seul à ramener avec lui cette traine d’apatowisme que le film se plaît à trainer sur le sol rugueux d’une forêt texane. La relative singularité de Prince of Texas tient, précisément, à sa manière étonnante de s’approprier une passion très contemporaine pour l’anxiété du mâle blanc de classe moyenne. Cette tarte à la crème, cuisinée jusqu’à l’écoeurement chez Apatow, DGG la replie dans une sorte de théâtre de poche en plein air, à partir d’un dispositif minimaliste et quasi-beckettien. Aux abords d’une forêt ravagée par un récent incendie, Alvin (Paul Rudd) et Lance (Emile Hirsch) sont payés pour déposer sur la route, avec lenteur et application, le marquage jaune requis par la voirie. Tout, évidemment, les oppose : le premier, fraîchement fiancé avec la sœur du second, est un maniaque obsédé par la bonne tenue de sa vie domestique, et se voit, dans la forêt, comme un Thoreau des temps modernes ; l’autre est un jeune branleur qui se languit de voir arriver les week-ends qui lui permettront de rejoindre la ville, et les fêtes où, espère-t-il, il trouvera l’occasion de baiser. Mais Alvin et Lance, de façon aussi évidente, ne sont que les deux faces d’une même pièce, frappée du sceau d’une masculinité inquiète et mélancolique qui n’attendait, pour révéler sa nature, que l’occasion de cette promiscuité entre mâles.
Sauf que tout le film, précisément, semble s’employer à tordre le programme annoncé par la bromance. Tous les ingrédients sont là, mais finissent comme abandonnés au plein air et à l’improvisation, au point que les promesses de gags finissent pas s’évaporer dans le décor et que de nombreuses scènes semblent ne pas vouloir prendre la peine de finir. Le film, à ce titre, vaut au moins pour une scène très belle et authentiquement inattendue. De retour d’un week-end de fête, Emile Hirsch fait le récit de sa déconvenue : malgré ses efforts, il n’a pas réussi à baiser. Autant dire que, quand commence ce récit, on a l’impression de l’avoir entendu cent fois. Sauf que Hirsch, au beau milieu du récit, fond en larmes, entraînant la scène vers un abîme de tristesse aussi incongru que poignant. La configuration minimale de Prince of Texas lui offre ainsi l’opportunité d’expérimentations discrètes, parfois très convaincantes (comme ici), parfois moins (par exemple quand l’insistance de DGG finit par noyer une idée au départ très belle – la maison fantôme parmi les ruines, au milieu de la forêt). DGG reste limité par une tendance qui était déjà repérable dans George Washington ou L’autre rive, malgré leurs réelles qualité : il a parfois la main un peu lourde quand il s’agit de revendiquer son ambition arty. Reste que, au carrefour de ces qualités et de ces défauts, Prince of Texas, s’il est loin d’être le film de l’année, mérite sans aucune doute le coup d’oeil.