A qui s’adresse Dragon’s Crown ? Difficile de ne pas commencer par là en abordant le nouveau Vanillaware, presque célèbre artisan nippon d’une 2D sublimée avec le soin d’une dentellière de Calais. Calfeutré dans sa nostalgie du beat’em up nineties, à une époque où Capcom régnait sur le genre avec ses Final Fight et autres Dungeons and Dragons (ici jeu matrice), Dragon’s Crown a tout de l’objet régressif et complaisant. Du bidule hyper maniériste et obsessionnel, du jeu fait en fouillant fiévreusement des cartons abandonnés de Livre dont vous êtes le héros, en quête des couvertures ultra stylisées de Russ Nicholson ou Iain McCaig. Mais ceci est en même temps un leurre. Moins old school que résolument traditionnel, Dragon’s Crown compte parmi ces jeux qui à l’inverse des réactionnaires du retrogaming, ne cherche pas à s’enfermer dans le souvenir d’une époque pour la revivre ad nauseam. Plutôt à la transporter. A en perpétuer un savoir faire et un art. On peut difficilement, aujourd’hui, faire plus japonais et donc féru du détail que Dragon’s Crown. Ses racines RPG viennent peut-être du côté des classiques de Steve Jackson (folklore heroic fantasy ultra balisé, narration à la deuxième personne du pluriel), il est aussi sa complète relecture nippone. Entendu une relecture qui embrasse totalement son objet pour en dégager ses aspects essentiels, qu’ils soient dans le style graphique ou le genre.
Si la démarche est irréprochable, reste qu’en conservant la simplicité du beat’em up d’antan (quelques coups, pour un gameplay épuré et direct), Dragon’s Crown butte malgré tout sur les limites de sa propre histoire. Celles d’un manque de variété dont le genre a parfois été victime, et qui ici malgré une volonté d’étoffer sans cesse les possibilités (à coup d’items, de pouvoirs, d’armes, d’upgrade, de nombreux sidekicks à ressusciter tout au long du jeu), plombe parfois un peu l’expérience. Quand ce n’est pas la lisibilité des combats qui devient laborieuse par trop de sprites à l’écran (le jeu est jouable à 4 en ligne mais les personnages peuvent être aussi dirigés par l’IA), c’est aussi l’action qui tousse, soit car trop brouillonne, soit par la mollesse des patterns ennemis, soit parce que les coups manquent de pêche à l’impact. Le beat’em up est une question de vitesse, et de physique, pour que la sensation du coup porté emporte tout son torrent de virilité refoulée. Dans Dragon’s Crown, l’orfèvrerie graphique, à tomber par terre et rendre fou de jalousie Michel Ancel et son Rayman Legends, semble parfois aller presque contre l’intensité du gameplay. C’est un peu tout ce que rate Vanillaware dans ce grand jeu hommage, qu’on ne peut à la fois ne pas aimer tant il flatte aussi les fondations intimes d’un amateur de jeu vidéo qui aurait pris de la bouteille.
Au fond, il faut voir Dragon’s Crown comme l’immense plaisir coupable d’une bande de quadra encore otakus fantasmant des amazones à gros nénés et des guerriers en armure géante. Comme le rêve perpétuel et solitaire mais à chaque fois plus travaillé, presque transcendé, d’adolescents éternellement boutonneux et qui n’auraient rien lâché. Forcément, Vanillaware creuse sa propre niche et Dragon’s Crown réserve son suc à celui qui sera sensible à toute sa généalogie et son incroyable expertise esthétique. A ceux qui verront que derrière son apparente immaturité adulescente, se cache un véritable artisanat, fruit d’un travail réfléchi et poussé que seul l’âge, l’étude et beaucoup de générosité peuvent matérialiser. Ce seul rapport suffit presque à gommer, un peu, les aléas du jeu (son manque de rythme, son gameplay trop feutré), tant il incarne un refuge vivant de ce que le jeu vidéo fut à une époque, et ce qu’il aurait pu être si la 3D ne s’était pas mêlée de ses affaires. Dragon’s Crown, avec son titre chérissant la beauté des archétypes, n’est pas un revival, mais un jeu de la continuité. En ces temps de révolutions permanentes et de post rétro machin truc déboussolé, ça fait du bien de voir que certains veillent toujours au grain.