Fermez les yeux, vous êtes en 1995. Les Hot Shots s’arrachent dans les vidéoclubs, et vingt-cinq ans de série Z restent encore à détourner par les petits malins d’Hollywood. Avachi par la fournaise mexicaine, Bob Rodriguez entre en régression et rejoue ces années-là. Comme si le rayon des nanars revus et corrigés, dont on a soupé depuis longtemps, n’avait jamais existé. Alors que son premier Machete s’en tirait bien en dégotant un vrai sujet polémique, celui-ci s’enterre la tête sous le sable chaud. Déni significatif, dont le mérite est de poser la question angoissante : jusqu’où s’enlisera-t-on dans la gaudriole parodique ? Quand passe le prochain train pour sortir de l’ère postmoderne ?
Anti-manuel de comédie potache, Machete Kills pointe les petits cancers à fuir pour qui veut renouveler le genre. D’abord, devant ces gags miteux, on se souvient que la meilleure pantalonnade nihiliste est celle qui donne paradoxalement dans la foi absolue. Celle qui croit dur comme fer à son anarchie, et met du coeur à l’ouvrage, même quand il s’agit de tout plastiquer. Or l’indolence de Rodriguez, qui n’allume que des pétards mouillés (le ridicule de chaque personnage est écrit à l’avance) court-circuite toute subversion. Quelque chose devrait se passer quand Mel Gibson, ancien recordman de rentabilité à Hollywood, se présente à Machete en méchant nanardeux (à la suite de Steven Seagal), sorte de fantôme déchu par ses frasques réactionnaires, ou de vieux roi du box-office changé en icône de vidéoclub. Au lieu de ça, rien. « Mad Mel », pourtant spécialiste du borderline, reste lisse, comme pris dans le granit. Les figurines deRodriguez en sont restées là : un pied dans l’action pure, l’autre dans la vanne facile, elles échouent sur les deux tableaux. Le mauvais génie du postmoderne possède Rodriguez, le privant de croire en quoi que ce soit. Ni en l’épopée, ni dans le burlesque. Ne reste qu’un chapelet de formules, tout juste bonnes à satisfaire les kids.
L’oscillation entre les deux registres, d’ailleurs, révèle le malentendu planant autour de ces repêchages de séries B. L’amour que porte Rodriguez au cinéma d’exploitation a peu à voir avec celui de Tarantino. C’est une affection méprisante d’ado narquois, dont le manque d’ambition le conduit au radotage sénile. Machete Kills évoque finalement moins un trésor de la VHS qu’un blockbuster contemporain loupé, où se dérobe aussi l’occasion pour les icônes pop (de Lady Gaga à Charlie Sheen) de se trahir, se refaire le portrait – c’était la force de De Niro dans le premier film. Cantonné à la singerie parodique, le casting se fout d’ailleurs pas mal de faire peau neuve. Mauvais signe, pas pour les stars elles-mêmes, mais pour la pop culture dans son ensemble : sous la coupe de Rodriguez, on la croirait tarie, impotente, chevillée aux mêmes modèles rances et au diktat du déjà-vu.