La Gare du Nord, c’est comme la vie, on la traverse, on y reste, on en part – à ce compte-là, Gare de l’Est ou un abribus auraient aussi fait l’affaire. C’est à ce mièvre refrain (destins croisés, histoires cachées derrière les visages) que carbure le nouveau Claire Simon, film trop humain qui dégouline à la façon d’un roman d’Anna Gavalda, d’ailleurs citée dans le film. C’est simple : il aurait pu s’appeler « Ensemble, c’est tout ».
Au croisement de la micro-fiction littéraire et de la sociologie télévisuelle, Claire Simon cherche une ébullition à la fois fictionnelle et documentaire, en filmant la gare comme un village global. La France telle qu’elle est et telle que vous ne l’avez jamais vue : vendeur de bonbons népalais, tenancier de bar algérien, vendeur de chaussures iranien, agente immobilière frustrée de ne pas voir davantage sa famille, père qui recherche la sienne disparue, agent de sécurité qui travaille pour passer du temps avec son chien, zoneurs dragueurs, Roumaines qui font la manche, grèves, manifestations, clochards.
Si Gare du Nord est une fiction (auquel existe un pendant strictement documentaire, tourné en parallèle par Claire Simon : Géographie humaine), on voit bien qu’il lorgne vers l’ampleur de documentaires comme Le Joli Mai de Chris Marker ou Chronique d’un été de Jean Rouch. Soit une coupe temporelle ou spatiale dans le réel : le mois de mai, la Gare du Nord, l’été, où recueillir à chaque fois un reflet du monde, et une image de la France à un instant T. Mais chez Marker et Rouch, les questions posées aux passants étaient lancinantes, maniaques, cherchant à atteindre une sorte d’infini philosophique présent au fond de n’importe quel être. A l’inverse, les questions posées par le duo très gauche France 3 formé par Kateb et Garcia sont brèves, distraites, fuyantes, idéologiquement orientées. Comme dans les sondages, la question attend un seul type de réponse, à peine entendue.
Il suffit de voir comment la caméra balaie ces visages étrangers, passe sur un homme cul-de-jatte pour le jeter dans une histoire absurde avec Jean-Christophe Bouvet – une vague agitation de groupe, une fausse altercation, Bouvet interpelle Damiens qui ne lui répond pas, on passe tout de suite à autre chose, la scène aura duré cinq secondes. Sur toute cette population que Simon veut faire rentrer dans le plan, le regard reste celui du badaud qui regarde sans regarder. Le geste est toujours le même : la caméra part de son personnage puis se décale doucement sur un habitant de la gare, pour ensuite mieux revenir sur le personnage – l’oeil a été distrait, mais se ressaisit très vite. Lorsque les jeunes zoneurs sont interviewés par Garcia et Kateb (avec Monia Chokri et François Damiens, le casting était pourtant idéal), Claire Simon passe ainsi plus de temps à filmer Nicole Garcia en train d’écouter et de sourire au contact de cette jeunesse a priori un peu inquiétante. Garcia sourit, tout le monde est rassuré.
Il n’est d’ailleurs pas anodin que la visite des lieux soit chapeautée par un étudiant en sociologie faisant sa thèse de doctorat sur la gare. C’est de cet aspect sociologique que souffre d’abord le film, son regard coïncidant parfaitement avec celui d’un étudiant sociologue zélé, tout impatient de rendre sa copie sur la Gare du Nord. Ce regard médecin de la société qui dégaine son stétoscope dès qu’on lui parle, empêche le gouffre existentiel qu’aurait suffit à susciter un seul vrai plan sur un visage. Au lieu de ça, Claire Simon les enchaîne ad nauseam, sans provoquer le moindre frémissement. Gare du Nord n’est au final pas du tout un film sur une quelconque altérité urbaine, mais une sorte d’éloge narcissique du regard documentaire, dont les images finissent par ressembler à celles de n’importe quel JT.