Dans une logique inverse à celle de Toy Story (où ce sont les enfants qui entrouvraient des portes sur les créatures pixariennes), Monstres et Cie nous avait laissé sur le plan magique du visage de Sulli, le monstre, s’illuminant à la vue de Boo, la petite fille, qu’il pensait ne plus jamais revoir. Plan serein et déchirant, qui achevait de faire de Monstres & Cie un film de SF inquiet, abstrait et sentimental, une hétérotopie hantée par la trace humaine.
Dans l’impossible suite à donner à ce plan parfait, Monstres Academy ne pouvait que prendre la forme d’un prequel prudent et modeste, narrant la rencontre à l’université de Bob et Sulli, jeunes monstres intégrant la prestigieuse Monstre Academy afin d’y devenir les meilleures Terreurs. L’enfance, la perte, mais également le motif souterrain de la parentalité qui habitait déjà Toy Story – bref, tout ce qu’avait suscité la folie du scénario du premier volet – est d’emblée mis au placard, remplacé par un pur campus movie.Les films Pixar sont à la fois anthropomorphiques et en même temps en bordure du monde humain : Nemo sortant caresser l’air humain, les jouets parlant sans cesse d’Andy. La limite de Monstres Academy tient à ce qu’il se restreint à l’anthropomorphisme mignon façon Dreamworks, déroulant un récit didactique dans lequel une bande de bras cassés tente de faire ses preuves au sein d’une sorte de Poudlard pour monstres, entre fratrie élitiste et têtes de turc à cols roulés. Le film se découpe ainsi en une succession d’épreuves que doivent affronter les équipes pour remporter le grand Tournoi de la peur. Avec cette restriction du film à l’anthropomorphisme et à une sorte de jeu de piste, disparaît le fond d’angoisse sur lequel s’établissaient les meilleurs Pixar (Nemo, Là-haut, Toy Story, Monstres & Cie., Wall.E). Ne reste qu’un beau film pour enfants, auquel manque le vertige souterrain du film pour adultes.
Il faut souligner surtout un vrai manque de cohérence visuelle, laquelle signe en général à la fois les grands Disney et les grands Pixar (de toute façon racheté par Disney il y a six ans), quelque chose entre le trait, la couleur et l’invention des personnages. Monstres Academy est en cela plus proche de la fadeur d’une suite Disney, qui n’a jamais su offrir des suites dignes de ce nom à ses grands classique, plutôt que de la belle logique d’épisodes d’une série comme Toy Story – contre-exemple parfait à cette fatalité des suites diminuées narrativement et visuellement. Monstres Academy souffre d’un effet de dispersion visuelle qui tient à l’usage de la 3D qui suppose que l’on travaille davantage des contrées entières que des plans, et donc qu’on nourrisse une sorte de feu visuelo-ludique au détriment du reste. Le film se présente comme est un magma de monstres mignons, de glissements de textures moelleuses, acidulées et élastiques comme des bonbons, comme s’il s’agissait de s’enfoncer dans les étoffes de la 2D (Le Monde fantastique d’Oz usait de la même façon de la 3D), de s’amuser à tordre, à épaissir et à gonfler les aplats d’autrefois.
C’est davantage dans l’emboîtement de ses portes narratives que le film retrouve un peu d’inquiétude, un peu de ce qui fait la vibration existentielle des films Pixar, lui confère cet écho humain, cette sentimentalité. C’est l’idée assez belle et simple de l’insoluble tare de Bob Razosky, ce petit cyclope vert pomme qui ne fait et ne fera jamais peur dans un monde où tout est évalué à l’aune de la terreur que l’on est capable de susciter.Tandis que les monstres les plus apparemment inoffensifs trouvent toujours le moyen de se tordre pour être effrayants, Bob, lui, dans ce monde de formes ondoyantes, est bien trop élémentaire (un globe oculaire avec la peau sur les os) pour se modeler. Il y a quelque chose de très triste à le voir répéter pathétiquement des grimaces qui tombent à plat. Le film se recommence ainsi plusieurs fois, ouvrant une succession de portes narratives, faussement optimistes, dessinant peu à peu le gouffre d’un échec, d’une tare qui n’arrive jamais à se dissoudre ou à être compensée.
Monstres Academy se donne comme le récit de deux outsiders se réunissant dans l’esprit de compagnonnage qui était déjà la matière consolatrice de Toy Story, ou celle des chansons de Randy Newman qu’on entend ici. C’est finalement le pouls Pixar qui se fait entendre, doucement, petite musique reconnaissable qui n’est pas vraiment de l’ordre de la happy end, mais plutôt une façon de prendre les choses avec philosophie et bonté de coeur, une sorte de sérénité dans l’éreintement qui redonne finalement à Monstres Academy un peu d’épaisseur morale sous l’apparence du film d’après-goûter.