A ses débuts sur Starz en 2010, la série Spartacus, sous-titrée « Blood & Sand », faisait figure de show bourrin issu de la section SEGPA de la fameuse qualité câblée à laquelle nous avait habituées HBO et Showtime. Lancée dans la foulée du succès de 300, Spartacus reprenait de Zack Snyder toutes ses afféteries visuelles : fonds verts à gogo, cast tout droit sorti de la salle de musculation, dialogues à base de one liners vulgaires ou belliqueux, litres de sang en CGI, et – câble oblige – nudité et cul décomplexés. A première vue, la série avait tout du plaisir coupable pas malin, conçu pour cartonner mais que personne n’admettrait regarder.

 

Passé un pilote aux airs d’ersatz de 300 et quelques épisodes laborieux, Spartacus s’impose contre toute attente comme l’une des séries les plus épiques de ces dernières années. Du cast ultra-charismatique à l’écriture efficace et sans détours, la série semble avoir comme unique volonté de divertir. Délaissant les ambitions intellectuelles des usual suspects du câble, Spartacus se contente de proposer un divertissement adulte mais d’une ambition folle, consciente de ses limites tout en cherchant à constamment les dépasser. Réalisant bien vite qu’ils n’auraient jamais le budget de Gladiator, les showrunners ont écrit comme s’ils en avaient le double, nous proposant dès lors un spectacle à faire pâlir Ridley Scott. Si la première saison reste cheap et que les CGI font plus mal aux yeux qu’un coup de glaive en pleine orbite, les saisons suivantes corrigent le tir et arrivent à acquérir un cachet visuel époustouflant.

 

Très vite, la violence et le sexe dont le show fait étalage font partie des meubles, coagulés dans l’ADN même de la série. On peut alors se concentrer sur les intrigues retorses déployant une galerie de personnages intéressants dans leur cheminement, souvent jusqu’au-boutiste. Sorti des effusions de sang, des mutilations et des orgies qui pourraient vite lasser, la série fidélise une fanbase des plus diverses par une honnêteté désarmante et une frénésie impliquant obligatoirement quiconque prend la peine de s’investir dans la série. Plus loin, Spartacus traite avec une lucidité inattendue les thématiques tragiques antiques du fils dans l’ombre du père à travers le personnage moralement ambivalent de Batiatus, des relations statutaires maîtres/esclaves, du pouvoir tactique du « sexe faible » (Lucretia qui pousse Batiatus à la mégalomanie, Naevia qui monte Crixus contre Spartacus…), du poids des mœurs romaines (où le déshonneur semble plus fatal que la mort) et du respect de la hiérarchie politique (les valeureux s’écrasant pour laisser briller les puissants). Du spectateur casual et bourrin à l’amateur plus raffiné et sensible à l’écriture de ses programmes, Spartacus contente ainsi chaque public et prouve qu’elle est bien moins bête que sa plastique musculeuse ne le laisse penser. Les spectateurs romains déchaînés et avides de sang de la première saison sont-ils finalement autre chose que notre reflet dans l’écran ?

 

A l’inverse des séries s’essoufflant au fil des saisons en étirant une matière initiale limitée à l’infini, Spartacus s’est bonifiée dans le temps, prenant de l’ampleur à mesure que son propos s’est étoffé. De simple série de gladiateurs lors des saisons 1 et 1.5 (saison prequel centrée sur Gannicus, le seul gladiateur à avoir gagné sa liberté dans l’arène), le propos s’est déporté sur la guerilla vengeresse menée par Spartacus en saison 2 (titrée Vengeance) avant de devenir une série de guerre tout court pour son ultime saison : War of the Damned. Le développement des caractères a connu une évolution similaire. La série de gladiateurs dignes de shonen japonais à base d’antagonistes de plus en plus forts s’est transformée en série d’aventure matinée de Fugitif (Spartacus traqué par le soldat ayant fait tuer sa femme !) avant de devenir finalement le récit guerrier de l’affrontement des troupes du gladiateur renégat contre celles de Marcus Crassus, Pompée et du futur Jules César.

 

Diffusée début 2013, l’ultime saison était celle de tous les dangers puisque nous connaissions tous la fin de l’histoire. Mais connaître le destin de Spartacus et ce qu’il symbolise est une chose; il restait à lui rendre justice. De ce point de départ casse-gueule, la série fait ce qu’elle sait faire de meilleur: du grand spectacle. Un spectacle ici maculé de l’inéluctabilité de la fin tragique attendant ses héros, sans toutefois tomber dans la facilité et manipuler les glandes lacrymales des spectateurs en faisant des protagonistes des martyrs. Au contraire, les esclaves nous sont même montrés sous leurs jours les plus sombres, avec un traitement quasi journalistique les plaçant sur le même plan que les Romains. La série nous incite même à nous demander si la morale n’a pas changé de camp entre le début de l’épopée de Spartacus et sa conclusion. La réussite totale de cette ultime saison trouve son point d’orgue dans les derniers épisodes contant le combat désespéré et perdu d’avance de Spartacus et son armée d’hommes libres contre la « République » romaine.

 

Spartacus se range sans peine dans la catégorie de ces séries majeures, pas forcément encensées lors de leur diffusion originale mais dont les prochaines, que l’on imagine nombreuses, sauront trouver leur public. C’est aussi une œuvre qui a su se hisser au niveau de son propos, surmontant tous les obstacles (budgétaires ou plus tragiques, comme la disparition de l’acteur principal, Andy Whitfield, entre deux saisons), pour constamment garder son cap : nous divertir et nous raconter les histoires, élevées au rang d’épopées viriles et inspirantes, de Spartacus, Crixus, Oenomaus, Ashur et tous les autres. Spartacus nous aura appris le plus important : renouer avec le sens du combat: l’idée du corps guerrier, jouisseur, mis à l’épreuve et finalement auto-sacrifié pour un idéal. Des rumeurs évoquent un possible spin-off centré sur le personnage de Jules César, introduit lors de la dernière saison alors qu’il n’était encore qu’un soldat. Spartacus est mort mais la légende pourrait continuer… Et c’est, comme le diraient les personnages de la série, « une putain de bonne nouvelle, par la bite de Jupiter ! ». Oui, c’est aussi ça, Spartacus.