Il y a plus de vingt ans déjà, le jeu vidéo inventa avec le FPS ce tour qu’il répète inlassablement depuis : faire coïncider l’image et le regard pour donner l’illusion d’un monde in situ. Jouer à un FPS, cela se résume au fond à entrer dans cette illusion et en expérimenter les variantes, que ce soit seul ou à plusieurs, dans l’espace ouvert du sandbox ou pris dans une cascade de scripts, plutôt vers l’action ou la réflexion… Dans ses grandes lignes, Metro : Last Light reprend ces différentes modalités du FPS pour donner un mélange entre des phases d’infiltration et d’assaut, parsemé de quelques QTE et de longues traversées donnant le spectacle d’une illusion mondaine : celle d’un monde ravagé par une guerre nucléaire n’ayant laissé qu’immenses ruines en surface, et misère dans le métro moscovite, seul refuge des survivants.
Malgré ce programme séduisant qui en plus de ses airs de Fallout jouit d’un cachet visuel indéniable, les défauts de Last Light apparaissent très vite. La grandeur d’un FPS tient à ce plaisir évoqué plus haut d’explorer l’espace et trouver la meilleure stratégie d’approche de l’ennemi. Là dessus le jeu déçoit terriblement. La faute à une IA proprement aberrante et un level design absent qui anéantissent les espoirs du gameplay et même de challenge. Conséquence, les phases d’infiltration du jeu sont réduites à allumer et éteindre des interrupteurs pour se jouer de gardes aveugles, quand il ne s’agit pas d’affrontements d’une lourdeur exaspérante, entre autres avec la faune de monstres en surface. Ces insuffisances rédhibitoires contrastent d’autant plus avec l’impressionnante débauche de moyens de 4A Games pour donner un semblant de vie à l’univers post-apocalyptique du jeu. Entre cinématiques et multiples à-côtés sur lesquels s’arrêter en prélude des séquences d’action (ici des exécutions sommaires, là des groupes de fanatiques), il y a dans Last Light une certaine volonté à déployer un monde. Mais cette volonté ne s’exprime qu’en le cloisonnant avec l’espace de jeu – celui-ci étant bâclé de toutes les façons -, expliquant ainsi à la fois le sur-découpage hyper mécanique de ses chapitres (une trentaine, dont certains de quelques minutes) et le manichéisme qui gouverne le gameplay et l’intrigue.
En fin de compte, c’est comme si dans la conception du jeu, il n’avait jamais été question de jeu vidéo, mais seulement de modeler un univers (inspiré d’un roman), en évacuant toute dimension d’architecture narrative pour permettre au joueur de jouer sa propre histoire. Un cloisonnement narratif sans doute à l’inverse du résultat escompté, car toutes les thématiques initiales du livre de Dmitri Glukhovsky (parabole de la montée du fascisme en Russie, hantise du communisme) se réduisent ici à un gimmick décoratif sans épaisseur. Il n’y a rien d’étonnant qu’avec ses maladresses de conception et le sérieux grandiloquent d’un scénario qui enchaîne les poncifs les plus balourds (sentimentalisme grotesque, méchants communistes et autres nazis de pacotille), Last Light finisse par tutoyer le bis italien des années 80, et inscrire l’univers de Metro 2033 dans la droite lignée des 2019 après la chute de New York et autres 1990 les guerriers du Bronx, cousins dégénérés de Mad Max ou New York 1997. Mais à la différence de ces films d’un autre âge, le jeu de 4A Games ne présente pas cette pauvreté de moyens qui pourrait l’amener à être vu rétrospectivement avec une certaine tendresse et humour. A l’image du Moscou qu’il dépeint, il n’est en définitive qu’un FPS en ruines que l’on aura sans doute vite oublié, et dont on aurait sans pitié brisé l’illusion.