Notre regard sur l’Histoire évolue et avec lui l’histoire de ses mythes. En parcourant la carte gastronomique de la fiction moderne, nos yeux ont toujours faim d’autre chose. Au début de ce siècle, la série Rometransforme ainsi pour toujours la façon dont on veut voir et dépeindre le règne de Jules César. A sa suite, le film 300 dépoussière la bataille des Thermopyles. Puis le pop corn et nullard Choc des Titans met un genou à terre devant la conclusion (croyait-on !) des aventures de Kratos, le grec frénétique et bas du front, dans God of War III.

 

Et aujourd’hui ? Après avoir liquidé la quasi totalité de son casting mythologique et dépeuplé l’Olympe, du même coup, de possibilités de boss fights épiques, Kratos est bien embêté. Au moins autant que God of War, la licence, obligée de le renvoyer dans le passé pour une aventure forcément moins féroce, moins extravagante et moins gorissime (GoW III atteignait des sommets dans l’insoutenable). Ascension retrace donc l’évasion de Kratos de la prison des Erynies, sa recherche du pardon des dieux pour avoir rompu son pacte avec Arès. Dès le départ,le titre de Sony développé par Santa Monica essaye de faire bonne figure en s’ouvrant sur un level design spectaculaire et over the top, sous la forme d’une prison-titan-méga boss (l’Hécatonchyre) mais rapidement se désavoue. Si les affrontements et les séquences de grimpettes (totalement assistées) gagnent en fluidité et plaisir de jeu, les énigmes perdent le joueur entre les dents de mécanismes illisibles, inutilement compliqués et frustrants. On pourrait soupçonner Santa Monica d’avoir engagé les concepteurs des puzzles de la série Myst. C’est dire ! Ces longs blocages nuisent grandement au plaisir du rythme (poutre maîtresse du genre beat’em-all). Un écueil à peine compensé par des graphismes toujours sublimes (mention spéciale à la courte traversée sub aquatique).

 

Mais le déséquilibre général de ce qui pourrait être considéré par ailleurs comme un sympathique spin off demeure bien mineur en face d’un plus gros problème. God of War est victime d’une concurrence pop culturelle déloyale sur l’antiquité. Au moment où le grand chauve deux fois mort de la saga de Sony nous conte ses laborieuses aventures pré-quelles, les yeux du monde entier sont tournés vers la saison conclusive (War of the Damned) de la série Spartacus. Elle use, comme God of War, d’une narration d’une dizaine d’heures, d’un goût prononcé pour la violence exubérante et d’un érotisme soft mais réjouissant. Contrairement à lui, elle n’a pas eu le mépris de réduire ces héros-bouchers à d’épaisses brutes uniquement mues par la vengeance. Ni, du même coup, de condamner ses spectateurs TV à ne pas valoir mieux que des habitués des arènes, ivres de sang. Une fois de trop, God of War et son héros brutal, monolithique et imbécile rompt le pacte avec un public : celui qui consiste, grosso modo, à ne pas le prendre trop longtemps pour un con.