Tout est bien trop en place dans cette nouvelle adaptation de Diderot. En place, les sourcils tordus de douleur de Pauline Etienne, très inégale. En place, le rictus platement sadique de Louise Bourgoin. En place les cadrages épurés de la mise en scène élégante et beaucoup trop équilibrée de Guillaume Nicloux. Pourtant l’histoire de Suzanne Simonin, jeune fille poussée par sa famille derrière les barreaux d’un couvent raconte tout le contraire puisqu’il y est question d’un personnage qui souffre de ne pas être à sa place et en mourra presque. Ce décalage, poussé à l’extrême, est en soi prometteur d’un enjeu cinématographique fort : donner la mesure de cette inadaptation totale et de l’enfer carcéral qui se referme sur Suzanne, mais surtout faire exister une pure volonté, isolée, durement éprouvée mais inviolable, malgré les divers assauts qu’elle subit de la part des mères supérieures. Ce qui est particulièrement fort dans ce point de départ littéraire, c’est que la jeune cloîtrée manifeste une certaine résignation à son sort dès lors que sa mère lui fait comprendre qu’elle doit racheter ses pêchés (Suzanne est une enfant illégitime) : elle essaie alors bravement d’épouser Dieu et sa cause. Malgré sa bonne volonté, il lui sera impossible de se voiler la face.
Quand Rivette s’empare dans les années 60 de ce sujet passionnant, il y imprime une vision particulièrement audacieuse (et pas seulement au vu de l’époque), tout à fait raccord avec la folie et la cruauté en jeu : son adaptation, échevelée à souhait, ressemble à s’y méprendre à un film de fantôme, voire de vampire. Une histoire somme toute très gothique d’emmurée vivante qui évoque Dreyer (Jour de colère), Mario Bava et Buñuel (Francisco Rabal à l’appui). Bref, ça sent le soufre et le vice à plein nez. Cette approche quasi fantastique ne va pas à rebours d’un certain réalisme, bien au contraire (d’ailleurs, malgré les libertés qu’il prend par rapport à l’oeuvre originale, Rivette revendique sa fidélité à l’écrivain à travers le titre qu’il choisit : Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot). C’est là que le bât blesse pour Nicloux qui cherche la vérité de son personnage du côté d’un naturalisme de bonne tenue où presque rien ne dépasse. On ne lui reproche pas de se démarquer de Rivette, au contraire. Mais le minimum était qu’il propose un véritable regard, quel qu’il soit. Or, il est bien difficile de trouver dans cette Religieuse un début d’idée, un angle fort, qui lui donnerait un peu de sens. Il y serait question de résistance, de lutte comme le souligne un curé bienveillant à la fin du film. Mais la mise en scène reste appliquée et transparente, là où elle aurait dû se cogner plus hardiment à la matière. Lui manque le sens du débordement, de la cruauté, de l’impur. Rien que ça.
Cependant l’accablement est loin d’être total et définitif. Nicloux, dont les vélléités d’auteur sont encore plus marquées ici que dans ses polars, n’est pas un cas négligeable, loin de là. Restent quelques scènes à sauver : soit parce que subitement un choix d’éclairage nous fait sortir de l’uniformité ambiante pour raconter enfin quelque chose, soit parce que quelques acteurs géniaux (Françoise Lebrun et François Négret, trop rares, mais aussi Alice de Lencquesaing) échappent à la tendance dominante du film – le suraffichage d’émotions faussement retenues – pour servir magnifiquement les personnages de Diderot. Reste le cas Huppert, qui soumet le film à une drôle d’expérimentation et lui donne une direction pour le moins étonnante. Son apparition en bonne sœur lesbienne déchaînée est parfaitement hilarante (ce personnage était aussi en partie comique chez Rivette) et fait effet dès son entrée en scène, de dos. Pourquoi ? Parce que sa présence au milieu des bonnes soeurs relève presque du gag, laissant imaginer l’actrice dans une parfaite cariture d’elle-même entre folie, ferveur, souffrance, rétention. Et c’est bien dans ce registre-là, assez périlleux, qu’elle sévit, probablement délibérément (voir ses propos dans le dossier de presse), avec la grande puissance comique qu’on lui connaît. La mise en scène ne suit pas vraiment, au point que l’on soupçonne un malentendu, et révèle dès lors sa plus grande faiblesse, celle de ne pas savoir, face à ses interprètes, où camper.
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