A quoi tient le sentiment de consternation – le mot n’est pas trop fort – éprouvé devant ce Week-end royal annoncé « réjouissant et gaillard » (Les échos) ? Il n’est pas besoin de souligner l’opportunisme ainsi que le manque d’originalité confondant de l’entreprise : surfant sur la vague du succès public du Discours d’un roi, voici donc la suite des aventures du roi bègue. Après George VI surmonte son handicap, George VI en Amérique, on attend le bon roi à la guerre, le bon roi en Afrique (gageons que quelqu’un quelque part, de l’autre côté de la Manche, planche déjà sur ces titres). Il n’est pas plus utile d’insister sur les sommets de ridicule qui parsèment le film : Roosevelt qui tapote l’avant-bras de son invité, « tu seras un sacré monarque, fils », ou quelque chose comme cela, ou encore les deux nouveaux amis barbotant tous deux dans la piscine, achevant de nous faire passer de la fiction politique au buddy movie nanardesque.

 

Pas besoin non plus de jouer les cuistres, de suggérer que la véritable Eléonore Roosevelt, joliment dépeinte dans la récente biographie par André Kaspi de son mari, était sans doute fort différente de la femme émancipée présentée ici, dont le snobisme très « côte est » rappelle plutôt un personnage de Kate Hepburn. On est déjà plus ennuyé par le portrait qui est fait de Franklin : patriarche matois dont l’action politique semble ne reposer que sur un vague bon sens, un peu de ruse, et qui nous est surtout présenté à travers son environnement « d’un autre temps » (mère autoritaire, maitresses qui se succèdent à ses côtés comme auprès d’un monarque d’ancien régime). Certes, et André Kaspi le dit bien, « c’est encore un petit monde que celui des Roosevelt », où l’on ne « fréquente » et l’on n’épouse jamais très loin (un petit monde en 1910 ; trente ans plus tard les choses sont déjà très différentes – passons). Sauf que voilà, cet homme effectivement issu d’un milieu fort conformiste, de l’Establishment, est bien devenu le président le plus authentiquement progressiste des Etats-Unis au cours du XXe siècle. De cette dimension, rien ne transparaît. Michell s’empare d’une figure marquante de l’histoire et n’en retient que quelques tricks de politicien, les mêmes dont un autre aurait pu se servir cinquante ans plus tôt ou plus tard, sans regard pour la singularité d’une période, pour le contenu, la force et aussi les limites d’une politique.

 

Et ça n’est même pas le pire. Ce qui achève de rendre Week-end royal irregardable tient à sa prétention incroyablement naïve et premier degré de tout expliquer par la micro-histoire, voire le simple ragot. Si les Etats-Unis ont fini par entrer en guerre, c’est parce que le bon roi d’Angleterre a fini par se rendre populaire aux yeux des américains. Et s’il s’est est parvenu à se rendre populaire, c’est parce que l’astucieux Franklin a manœuvré de manière à lui faire manger un hot dog devant des photographes (« un hot dog ? », grimace la reine : mine). Mieux vaudrait en rire, si l’on ne décelait pas là quelque chose qui commence à ressembler à une tendance lourde du cinéma historique, autant dans la fiction que le documentaire. On avait déjà été frappé de voir à ce point acclamé L’Autobiographie de Nicolae Ceausescu : film obnubilé par les cérémonies et le protocole, croyant qu’une succession interminable de poignées de mains entre les grands de ce monde pouvaient montrer quoi que ce soit d’une société ou d’une histoire. Finalement, s’il est un film aujourd’hui qui parvient à éviter cet écueil, c’est Lincoln : Spielberg décentre assez finement les choses, évitant le monument à la gloire d’une unique figure attendu. Montre la conviction et l’habileté d’un homme, mais aussi l’action d’autres hommes, certains plus convaincus encore, ou tout aussi habiles. Donne à voir un écheveau de motivations, d’intérêts, de gestes, de hasards et de plans. De la contingence, ainsi qu’une nécessité historique, hégélienne. On le mesure mieux un mois plus tard, vu l’indigence de la concurrence : ça n’est vraiment pas rien.