Il y a du mieux, incontestablement, dans cette série lancée en grande pompe il y a deux ans par une AMC sûre d’elle après les succès retentissants de Breaking Bad et Mad Men, et qui n’en finissait plus de décevoir. Entre erreurs criantes (le casting) et drames internes (le changement de showrunner), il n’y avait personne pour sauver la barque, laissant la deuxième saison s’enliser dans des marécages d’ennui, entre immobilisme narratif et sentimentalisme gluant. Devant ce programme sans enjeu, on zombifiait à vue d’œil. Et c’est sans doute un questionnement approfondi sur le sens du show qui est à l’origine de cette semi-résurrection -voire de cette naissance. Car il ne suffit pas de « transposer » une BD à l’écran pour faire une œuvre, a fortiori quand cette BD est bavarde, quelles que soient ses qualités par ailleurs.

 

L’œuvre de Kirkman est intimiste et psychologisante, faisant le pari audacieux de se concentrer sur les survivants (drames familiaux, relations de pouvoir qui s’instaurent, etc.), et profite d’un format littéraire impossible à filmer par définition. La série a eu le tort de penser qu’elle pouvait appliquer sans effort ce cahier des charges, et s’appuyer sur un zombie « générique », non questionné, alors que chaque œuvre doit inventer son zombie, dont le rôle change avec l’époque. Cette invention prend deux aspects : celui de la forme (comment devient-on zombie, comment se comporte-t-on ?) et celui du fond (que symbolise le zombie, de quel mal contemporain est-il l’image ?). Et c’est ce travail de réappropriation, cette sortie du huis-clos humain pour aller à la rencontre de l’autre, pour imposer une figure propre du zombie, que propose à présent The Walking Dead. Car le temps presse, World War Z sortira en juin 2013 et c’est la dernière chance, pour la série, d’imposer sa patte visuelle, avant ce qui s’annonce comme le plus gros budget de tous les temps pour un film de zombies, capable d’en redessiner l’esthétique (foules numériques, amoncellements grouillants de morts-vivants galvanisés…). Il s’agit donc d’aller voir ce que ces bestioles ont dans le ventre, au propre comme au figuré (un personnage s’entraîne sur les zombies à faire des césariennes), hissant par là-même le show à un niveau de gore que l’on n’espérait plus. Comme tout le monde est porteur du virus qui zombifie après le décès, nos goules sont à la fois des morts et des malades, réalisant une synthèse originale des morts-vivants 70’s (Romero) et des infectés 2000’s (Danny Boyle).

 

Globalement plus anxiogène et plus graphique (le nouveau générique est réussi), The Walking Dead pose enfin les questions qui accompagnent le genre à toutes les époques, et qui sont de nature politique. Après la table rase de l’invasion zombie et le retour à l’état de nature, il faut repasser le pacte social, selon deux modèles : celui qu’établissent les personnages principaux dans une ancienne prison, communauté fondée sur l’affinité et la confiance ; et la « ville » du « Gouverneur », quartier fortifié qui joue des peurs populaires pour fonder sa légitimité. Lieu dont l’apparence civilisée recouvre des dessous barbares, cet îlot préservé de la vie sauvage se résume à une rue colorée comme le Main Street de Disneyland : c’est une banlieue américaine moyenne, celle des femmes au foyer désespérées et des fêtes de voisins à même le trottoir, qui dissimule mal les secrets honteux et les crimes cachés ; c’est un vernis de sociabilité hypocrite, présenté comme « mieux que rien », comme une normalité ennuyeuse à préférer à la mort -soit le chantage à la survie consumériste qui est l’idéologie de notre époque. Où The Walking Dead, donc, trouve enfin son propos, choisissant de faire la satire des suburbs, ces mouroirs chatoyants d’où toute sauvagerie a été expulsée -quitte à revenir par la fenêtre, c’est-à-dire sous forme pathologique. Cela n’a rien de très original, mais c’est enfin consistant ; et ce qui semblait être un feuilleton de zombies pour mundanes pourrait bien, après tout, occuper une place non-anecdotique dans l’histoire du genre.