Heurs et malheurs de l’humour sociologique français. Voilà près de quinze ans que Fabien Onteniente traîne sa roulotte sur les routes de cette France beauf qu’en des temps pas si lointains la novlangue sarkozienne appelait « pays réel ». Visité sous le ciel bleu des congés payés (Camping), puis dans la grisaille ouvrière du Havre (Disco), le pays réel est retrouvé aujourd’hui là où il n’avait jamais cessé d’attendre l’œuvre d’Onteniente : au PMU du coin. Destination logique, en effet, pour ce cinéma de comptoir à qui l’appel du zinc tient lieu de label France, agrafé sur son éloge forcené, et apparemment sincère, de la camaraderie. Sans être trop optimiste, il y avait donc de quoi espérer une réussite au moins égale à celle, relative mais surprenante, du premier Camping et de Disco. Parmi les kilolitres de soupe populaire distribués sur les plateaux de TF1, le cinéma d’Onteniente réussissait bien, avec ces deux films, à tirer son épingle du jeu, en donnant le sentiment qu’un autre carburant le propulsait que le seul cynisme de l’industrie. Rigoureusement conformes à son idéologie (rire vrai, gages d’authenticité à tous les étages, ironie complice avec la France d’en bas), Camping et Disco semblaient portés néanmoins par un goût véritable pour le sujet des tableaux qu’ils dressaient, une connivence pas totalement feinte, et justifiée d’un vrai souci d’incarnation, d’une tendresse honorable et presque anachronique pour leurs personnages. Horizon modeste et attachant, gentiment réactionnaire, quelque part entre la comédie italienne (revendiquée à l’envi par Onteniente) et l’animation collective de stand chez Carrefour.
L’accablante nullité de Turf est facile à expliquer : c’est précisément l’incarnation, cette digue fragile par laquelle les deux autres films se retenaient de tomber dans la mare du rire opportuniste et cynique, qui fait défaut à un point presque irréel. Il n’est pas étonnant qu’Onteniente décrive en boucle l’élan de camaraderie qui, déclenché par l’ogre Depardieu, ait censé avoir porté l’écriture collective du film – et convaincu Edouard Baer qui, nous explique-t-on, n’était a priori pas très emballé. Piteuse mais compréhensible tentative de masquer l’évidence du malaise qui se lit partout sur les visages (Baer et Chabat sont, d’un bout à l’autre, noyés dans leur embarras) au moment de débiter des répliques ahurissantes de fumisterie. Partis à la rencontre des turfistes, Ontoniente ne visite cette fois que le pays réel d’acteurs consternés par leur présence ici, et que la perspective de leurs chèques ne suffit pas à dérider. Tableau sinistre, d’une détestable fainéantise, et dont l’opportunisme n’est que mieux révélé par la présence molle des fétiches popu d’Onteniente (ici une Fuego, là Charles Gérard). Qu’on puisse être tenté, au sortir de cette purge, de se dire qu’on regrette Frank Dubosc, donne une idée assez précise de son naufrage.