Tout part comme souvent d’un constat simple et très paradoxal, ce qui tombe bien pour un livre publié dans la collection « Paradoxe » : il arrive qu’on voie des choses qui n’existent pas, des choses qu’on ne devrait donc pas voir, bref, des choses invisibles, et ce sans être fou le moins du monde. « L’objet de la vision n’existe pas, explique Rosset, mais la vision de l’objet n’en existe pas moins ». D’où la question immédiate et massive du statut à accorder à ces visions : « Que voit-on, quand on ne voit rien ? ».
Fort de cette difficulté initiale, Clément Rosset se lance dans une investigation brève (92 pages) mais riche, où l’humour n’est jamais absent, et qui croise en chemin Wittgenstein, Proust, Henry James, Paulhan, Roussel ou Mallarmé, à titre soit de références, soit d’illustrations, soit de cas emblématiques. De l’invisible, on glisse aussi sur le terrain des fantômes, de la musique et de quelques sensations quotidiennes très étranges comme celle qui consiste, lorsqu’on rencontre pour la première fois quelqu’un dont on ne connaît que la voix, à trouver qu’il ne se « ressemble pas ».
Tout cela peut paraître un peu décousu mais avec Rosset les détours improbables et les rapprochements inattendus s’imposent avec la force malicieuse de l’évidence. Ce qu’on vérifiera également avec Récit d’un noyé, recueil des visions surréalistes ou « rousselliennes » qui ont saisi l’auteur après un accident aquatique à Majorque, voici quelques mois, et qui entrent discrètement en résonance avec les questions ici traitées sur un mode de philosophie débonnaire.