D’un côté, Jacques A. Bertrand continue son recensement des « sales types ». De l’autre, le trio Trümmel, Gosselin & Martin liste les prénoms et ce qu’ils révèlent de nous. Qui vise le plus juste ?
Le livre
Après Les Autres, c’est rien que des sales types qui avait remporté en 2009 le Grand Prix de l’humour noir, Jacques A. Bertrand sert une nouvelle louche de portraits de casse-pieds, fâcheux et emmerdeurs modernes en réunissant vingt chroniques écrites à l’origine pour l’émission-culte de France Culture, Des Papous dans la tête. Johann Trümmel, Pierre Martin et Julien Gosselin, eux, ont commencé à publier leur antidictionnaire des prénoms dans Chronic’art avant de les réunir, augmentées d’inédits, dans un petit livre chic, illustré et cartonné, La Liste.
Le principe
Jacques A. Bertrand est un héritier du La Bruyère des Caractères, qui hume l’air du temps et capture les types représentatifs de notre époque, à la façon d’un Daninos : le « people », le sportif, le consultant, l’optimiste, le puritain… Trümmel, Martin et Gosselin (alias TMG), eux, sont du côté de la tranche de vie concrète, avec 80 personnages dont ils décodent la personnalité à partir de leur prénom, comme dans ces petits livres niais sur la signification des prénoms. De A comme Alain (52 ans, responsable de l’état civil à la mairie) à Z comme Zoltan (immigré slovène, ancien haltérophile)…
Le ton
S’il fallait faire une comparaison, on rapprocherait Bertrand de Desproges, celui du Dictionnaire superflu ou du Manuel de savoir-vivre à l’usage des nantis : un style péremptoire et ciselé, plein de considérations débonnaires et décalées, avec un solide fond de culture classique et quelques anars de droite en guise de pères spirituels (Marcel Aymé, Jean Dutourd, etc.) Côté TMG, c’est à la fois plus jeune, plus cruel et plus rock’n’roll, bourré de références à la culture contemporaine et de vannes irrésistibles que seuls les initiés comprendront.
Les trouvailles
Côté Jacques A. Bertrand, on est dans le bon mot raffiné, à l’ancienne, le « bel esprit », comme dit la couverture. Genre : « L’Optimiste prend les choses du bon côté. C’est dire que, souvent, il doit les retourner ». Les TMG, eux, sont nettement plus contemporains, avec un humour sarcastique qui fait toujours mouche. Exemple : « Quand elle se présente à un entretien d’embauche pour une assoc’ d’échanges interculturels, Fleur précise qu’elle a fait ses études à Rennes, ce qui est inutile puisqu’elle porte des sarouels orange et un piercing dans le nez ».
Le verdict
Deux excellents recueils, mais qui ne visent pas le même public. Les Sales types de Bertrand sont un exercice de modernologie old-school, pittoresque, inventif et au fond assez tendre, qui plaira aux admirateurs de Muray comme aux lecteurs de Télérama qui ont le sens de l’humour. La Liste est une radiographie impitoyable et cruelle de la France, un décodage des lieux communs et des formules toutes faites (ah, « monter sur Paris »), hilarant (qui ne connaît pas un Kevin, une Héloïse, un Xavier qui ressemblent à ces portraits ?) et très triste en même temps. On y mesure à quel point nos vies sont banales, truffées de clichés, coulées dans le même moule mondialisé… Offrez Bertrand à un oncle cultivé ou à un collègue « jargonaute » (qui parle en jargon). Gardez TMG pour vous. Surtout si vous vous appelez Kevin ou Guillaume, puisque vous y êtes.
Les Autres, c’est toujours rien que des sales types, de Jacques A. Bertrand (Julliard)
La Liste, de Johann Trümmel, Julien Gosselin et Pierre Martin (10/18)
A lire aussi (au sujet de La Liste), Chronic’art #79, en kiosque
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