L’artiste multimédia David Guez présente, du 29 avril au 15 mai 2011 à Plateforme (Paris), « Le Futur nous arrive en même temps », une exposition qui rassemble ses projets et prototypes issus de sa série « 2067 ». Un travail sur le temps, la mémoire et le réseau qui relie tout et tout le monde, et dans lequel se planque déjà notre futur codé.

Pour David Guez, qui expose dès ce vendredi 29 avril 2011 à Plateforme à Paris, c’est une première : à partir de sa série « 2067 », l’artiste réunit différents travaux et projets sur lesquels il travaille depuis 2006 dans l’espace blanc « classique » d’une galerie. Le temps, la mémoire et le réseau obsèdent l’artiste travaille et expérimente ces notions avec 2067, email vers le futur, un site Web permettant d’envoyer des messages dans le futur au jour prés et jusqu’en 2067 ; avec 2067 Telecom, même principe, mais via un combiné téléphonique qui permet de laisser des messages vocaux dans le futur ; ou encore Radio 2067, une radio dont la ligne des fréquences est remplacée par une ligne temporelle qui permet de balayer une sélection de plus d’un siècle de musiques et documentaires sonores. Au programme, donc, des objets sonores, une installation, une projection, des impressions sous la forme d’un triptyque et enfin, surtout, une rencontre avec le public qui découvrira Le Futur nous arrive en même temps, belle manière de fricoter avec le réseau, cette zone aux états transitoires dans laquelle se loge notre futur codé. Avant l’apocalypse ?

Chronic’art : D’où te vient cette obsession du « réseau » ?

David Guez : Je travaille sur et avec le réseau Internet depuis 1995 et avec l’informatique depuis 1980 donc ma référence ultime, c’est une pratique de la bestiole enracinée depuis l’adolescence et augmentée de blockbusters et livres de SF, de lectures scientifiques et philosophiques, d’une passion pour l’art et l’écriture comme espaces ultimes où tout peut se faire et se défaire et d’un gout prononcée pour la randonnée et les religions sans dieu.(désolé, je ne donne jamais aucune référence. Pour être plus précis, depuis le web 2.0 et l’explosion des réseaux sociaux, une nouvelle altérité est en train de naitre qui n’est que le début d’une prochaine étape de l’évolution de l’homme. Ce qui m’intéresse depuis le départ, c’est la notion de lien et le concept de l’autre (mon premier projet sur internet se nomme « Le livre des liens »).Le réseau est le domaine de circulation parfait pour ces deux obsessions. je m’y sens comme un poisson dans l’eau. Mon prochain projet est un butineur de foules, une première expérience de ce que sera le réseau dans une dizaine d’année, où l’ordinateur aura disparu dans le corps caverneux des neurones et où le réseau sera enfin réellement « entre nous ».

Qu’est-ce que tu entends par « butineur de foules » ?

C’est un peu secret pour l’instant mais sur le principe c’est une extension physique des réseaux sociaux virtuels existants comme Facebook. Le « butineur de foule » correspond à cette possibilité d’échanger hors du réseau mais avec le réseau « entre nous », dans l’air environnant, avec cette notion que l’échange de connaissance, quelque soit son contenu (de la recette de la mousse au chocolat à la définition de l’« effet tunnel » dans la théorie quantique), devienne plus que jamais accessible ; en un clignement d’oeil, par exemple, ou via un mouvement d’index. J’aime travailler sur des projets qui touchent à l’intime, mais aussi qui touche la masse, le plus de monde possible et qui s’inscrivent dans un principe de réalité. Par exemple, en 2008, j’ai exposé au Centre Pompidou un jeu humanitaire (Dotred) dont le principe était de « jouer en réseau avec l’objectif de changer la réalité ».

Tu envisages souvent la disparition prochaine de l’humanité, l’apocalypse en somme. Notre survie passerait-elle par le réseau, en tant que mémoire du monde ? On pense forcément à l’hypothèse Gaïa…

Je suis obsédé par la sauvegarde de la connaissance, peut être parce que je connais bien la technique et que je sais à quel point notre civilisation est en train de créer un terreau hyper fragile en projetant l’ensemble de ses données dans un tout numérique encore préhistorique. Par ailleurs, j’ai vu et ressenti l’expérience du 11-Septembre de près puisque je devais exposer dans la galerie du World Trade Center quelques semaines plus tard en 2001. C’est tout l’objet de 2067, email : le fait d’envoyer un mail dans le futur et cette intuition que le réseau n’est pas que cette infrastructure de datacenters connectés mais qu’il pourrait devenir aussi un jour une pensée connectée. Sinon, je ne suis adepte d’aucune théorie, je poursuis mes obsessions qui me poursuivent tant bien que mal. En ce moment, j’essaie de comprendre comment stocker du temps comme on stocke de l’énergie dans une batterie, comment faire de la Terre (l’élément) un media de stockage, comment faire le passage de l’Ascii à l’ADN, résoudre la question du livre numérique sans perdre la sensualité des livres et cette question du temps qui m’obsède : le futur est là, devant nous, mais codé ! A ce propos, je viens de finir un manuscrit « nextgen » où je dialogue avec le réseau dans le temps, à quelques centaines d’années. Il y a plusieurs hypothèses sur le voyage temporel, mais la plus alléchante reste celle d’un problème de codage et de décodage et je pense que se mettre à l’écoute d’un futur qui nous arrive, même codé, c’est déjà une première bonne étape.

A l’inverse, tu proposes deux « installations » qui envisagent un big bug, voire carrément la disparition pure et simple du réseau : Humanpédia et Disque Dur Papier. Pourquoi cette vision à l’envers et quel est le message ici ?

Oui, disons qu’« en attendant » que le réseau devienne une « espèce », je propose des solutions qui permettent de se passer du réseau dans l’hypothèse de sa destruction. Humanpédia est une réorganisation de la connaissance de façon massive ; je prends Wikipédia comme une immense chaîne de caractères que je découpe en proposant à chacun d’être le dépositaire d’une page. J’utilise le réseau pour s’en passer, au cas où. De même, le Disque Dur Papier propose l’utilisation d’un médium non numérique (le papier) pour stocker des données numériques en appliquant tout simplement un principe de rétrécissement (une page A0 en police Arial 0,2 permet de stocker environ la taille d’un CD-ROM). Je pense aussi aux minéraux, à des systèmes d’organisations de la connaissance qui ne nécessitent plus du tout d’ordinateur. Pour que tout soit lisible tout le temps et partout, en visant, en quelque sorte l’universel absolu.

Concrètement, c’est-à-dire ? A quel genre de système tu fais allusion ?

J’essaie de comprendre de quelles façons on peut inscrire notre civilisation dans le temps, un temps long. J’ai aussi pensé à la panspermie (théorie scientifique de Hermann von Helmholtz – 1878 – qui affirme que la Terre aurait été fécondée de l’extérieur, par des moyens extraterrestres, ndlr), féconder d’autres planètes ou des astéroïdes avec des petits modules envoyés depuis la Terre. Pour l’instant, l’ADN est le meilleur candidat, il a une mécanique extraordinaire et lors de la définition du projet Humanpédia, j’ai pensé que le transfert de Wikipédia sur l’ADN d’un scorpion (qui résiste aux attaques nucléaires) serait encore la meilleure façon de sauvegarder la connaissance. Peut être sommes-nous porteur d’une connaissance extraterrestres sans le savoir… ? Enfin, les minéraux sont l’avenir des systèmes de sauvegarde : lorsque la photonique remplacera l’électronique, les cristaux seront les disques durs de demain, avec le stockage de plusieurs milliers de téraoctets… autant dire des hologrammes de mondes à l’échelle de nos visions !

Et le transhumanisme (mouvement culturel et intellectuel international prônant l’usage des sciences et des techniques afin d’améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains, ndlr), ça te touche ? Cela pourrait-il correspondre à ta vision du futur ?

Rien ne me correspond, je prends tout, je digère, et j’invente. Je laisse les processus se cristalliser : un projet me prend deux ans pour mûrir, c’est court et c’est long à la fois, mais selon moi, un artiste est libre en ce sens qu’il a la capacité de construire, détruire et recommencer tout à zéro sans avoir à rendre de comptes à personne en ce qui concerne le pourquoi et le comment… l’essentiel au final, c’est sa production, ce qui fera que ce qu’il invente touche de façon émotionnelle ou intellectuelle, localement ou globalement, de façon fugace ou pour l’éternité.

Tu parles de mémoire, et donc du risque de pertes des données numériques que l’humanité empile et stocke sans arrêt. Ca te fait peur, vraiment ?

Oui, carrément ! La maladie d’Alzheimer est « civilisationelle » !

Ce serait quoi, le scénario catastrophe ?

Les virus, le nucléaire, les catastrophes naturelles…, je pense même que c’est une question de cycles (de la planète, de l’évolution). Ca nous ramène à la question de la mort et de la disparition associée. Que reste t-il ? Une transmission qui s’inscrit dans le présent vers le futur. Mon scénario est le suivant : le numérique arrivera un tel degré de sophistication et à une telle intégration avec le biologique, le physique et le quantique que nous comprendront enfin que le réel que nous vivons à chaque instant est une probabilité en train d’éclore avec cent mille autres probabilités en train d’éclore elles aussi. Juste deux chiffres : 100 milliards de galaxies et 200 milliards d’étoiles par galaxie.

Quels sont tes projets pour la suite ?

Je vais produire « l’horloge 2067 » qui permettra d’enregistrer en permanence l’espace sonore environnant (de sa cuisine, par exemple) et de le restituer en tournant les aiguilles vers le passé. Je vais aussi appliquer le principe du Disque Dur Papier en une version disque vinyle, une version sonore en somme. Je compte également créer des performances de téléchargements de la connaissance où, un peu sur le principe d’une séance de cinéma, le spectateur viendrait dans une salle pour ingurgiter l’oeuvre de Shakespeare, par exemple. Et puis des meubles mémoriels minimalistes, à revers du gigantisme des disques dur actuels. Je voudrais aussi faire de l’eau Internet, trouver une unité de mesure du temps qui soit portable et stockable, comme le kilo seconde, faire du livre numérique un livre classique et non pas le contraire, comme tout le monde essaie de faire, en vain ! Enfin, surtout, je vais rédiger un livre-catalogue sur tous ces projets et prototypes.

Au fait, pourquoi cette date, 2067 ?

L’année de ma naissance… ou celle de ma mort !

Propos recueillis par

David Guez – Le Futur nous arrive en même temps
Du 29 avril 2011 au 15 mars 2011 à Plateforme
73 rue des Haies – Paris 20e
Du mercredi au dimanche, de 14h30 à 19h30
www.guez.org