Après la mosaïque des communautés criminelles dans GTA, la (re)conquête du territoire américain dans Red dead redemption, « L.A. Noire » s’intéresse à un autre cas de parabole politique : celui de la décadence de l’Ordre. A deux mois de la sortie officielle (mai 2011) de son nouveau roman noir interactif, Rockstar lâche enfin du lest.
Il ne faut plus grand-chose à l’éditeur de Grand theft auto pour susciter le buzz. L’attente autour de chacune de ses productions s’accompagne d’autant plus d’un espoir paradoxale : retrouver la routine (si addictive) du free roaming en monde ouvert, la capacité (quasi auteuriale) d’orfèvre à recréer un microcosme ahurissant d’autonomie. Il faudra sans doute, avec ce L.A. Noire et son flic enquêteur dans le Los Angles des années 40, museler nos ardeurs les plus libertaires. Si la reconstitution des quartiers angelins (et son effervescence urbaine) confirme la méticulosité topographique du studio, L.A.. Noire ne tarde pas longtemps avant de briser sa filiation au GTA-like. Tout comme Mafia II, le jeu semble privilégier une trame scénaristique plus dirigiste qu’à l’accoutumée. Le chapitre joué (une enquête sur le meurtre barbare d’une jeune femme) affiche d’emblée le talent increvable de Rockstar à savoir exhumer les tics de toute une culture pulp. Atmosphères, dialogues, trognes des seconds rôles : les emprunts à Ellroy, Chandler ou Hammett, sans omettre les clins d’oeil aux films noirs (Le Faucon Maltais, Chinatown…), se mélangent admirablement à l’ambiance crasse des bouges visités.
Passé le charme du decorum, les automatismes de jouabilité Rockstar reviennent rapidement. Sauf que, polar oblige, le gameplay lorgne désormais vers le point’n click. L’enquête, divisée en deux temps, laisse d’abord le soin au joueur de sonder à volonté une scène de crime pour exhumer les indices éparpillés. La possibilité d’inspecter ces derniers sous tous les angles évoque instinctivement un Cluedo, chaque détail important étant ensuite consigné en vue d’une synthèse. D’une ergonomie simplissime (le joystick dirige la rotation de la main), cette appréhension de l’espace et des objets apporte une tempérance surprenante, comme incompatible avec les acquis Rockstar. Après les fusillades et courses poursuites dans les rues de GTA ou le désert de Red dead redemption, l’espace criminel prend un aspect plus intimiste, misant tout sur une scénographie à décrypter selon les lois du jeu de piste hard-boiled.
Bien entendu, la viabilité de chaque découverte (les fausses pistes étant légions) s’éprouve lors des interrogatoires de témoin ou de suspect. Tout comme Phoenix wright, ces entretiens muent rapidement en duels de tacticiens. Bonus technique du Motion-scan : les répercussions psychologiques de l’accusation font vite apparaître l’aveu innocent ou l’alibi mensonger sur les visages. Si celles-ci restent un peu mécaniques (un regard fuyant à gauche = mensonge), elles invoquent néanmoins un paradigme inattendu : celui de l’émotion d’un avatar comme piste ludique.
L’éditeur reste encore secret sur les éventuelles dimensions parallèles de l’aventure. Seule information filtrée : l’évolution du personnage se fera par paliers, au sein des différents services de la police : la Crim’, mais aussi les sections des moeurs ou de la circulation.
Reste l’angle politique que Rockstar n’oublie jamais, comme obnubilé par ses autopsies des identités américaines. Après la mosaïque des communautés criminelles dans GTA, la (re)conquête du territoire américain dans Red dead redemption, viendrait un autre cas de parabole politique : celui de la décadence de l’Ordre. Par logique d’emprunt aux canons du genre, on devine assez aisément que le héros puisse être mêlé à des affaires de corruption au sein des services. Rockstar nous révèlera-t-il, avec son cynisme attitré, la deuxième face (côté Loi cette fois) d’un état gangréné par les démons du vice ? Nul ne sait encore, mais le potentiel d’un nouveau chef-d’oeuvre, lui, est bien là…
L.A.. Noire – Xbox 360 / PlayStation 3
Sortie le 20 mai 2011
(Team Bondi /Rockstar Games Take Two)