Un nouveau film, un coffret DVD (Blaq Out), une rétrospective à la cinémathèque : Wakamatsu a la cote. Après United red army, portrait des jeunesses révolutionnaires nippones, le réalisateur revient en France pour présenter Le Soldat dieu, charge acide contre une mémoire japonaise trouble.
Si la lutte armée n’est plus à l’ordre du jour, la colère contre les dérives de l’autorité reste bien intacte. Derrière le protocole habituel de tempérance se tapit encore ce mépris réactionnaire, mais salutaire, du vieux grigou à toute forme d’establishment. Après avoir frayé avec les yakuzas, (re)doré le blason de la série B érotique, réalisé une centaine de films, participé aux mouvements révolutionnaires internationalistes, connu une certaine traversée du désert à partir des 80’s, où va Wakamatsu ?
Chronic’art : Vous abordez, avec ce film, une période historique assez inédite dans votre filmographie. Pourquoi un tel intérêt pour la Guerre du Pacifique ?
Koji Wakamatsu : Le Soldat dieu me semble lié à United red army. Quand j’ai tourné URA, je me suis posé cette question : comment ces jeunes gens, qui venaient pour la plupart de familles aisées, qui avaient fait de longues études, avaient pu rejoindre la lutte armée révolutionnaire ? J’ai fini par comprendre qu’ils ne voulaient pas répéter les mêmes erreurs que les générations antérieures. Ce sont ces erreurs-là que j’ai voulu filmer : toutes les atrocités qui ont été commises pendant la guerre et qui ont marqué les générations à venir. Les personnages du Soldat dieu sont les ancêtres de ces jeunes-là, en quelque sorte.
Vous vous attaquez à nouveau au modèle d’autorité japonais…
Je voulais parler des guerres d’invasion du Japon. Elles sont un point de changement, selon moi, parce qu’elles sont l’explication de tous les travers du Japon actuel. L’armée a toujours été à l’origine des horreurs commises dans l’Histoire. Le pire, c’est qu’elle a souvent servi de modèle : même les jeunes de l’Armée rouge fonctionnaient selon le protocole de l’armée japonaise ! Ils étaient même prêts à voler une bombe atomique comme force d’argumentation contre le gouvernement, c’est fou ! Cette tendance existe encore aujourd’hui. On entend beaucoup de députés dire à nouveau que le Japon ne devrait plus se contenter d’une armée de défense, mais avoir une force offensive et sa propre bombe nucléaire (depuis 1945, le Japon s’est interdit de se doter d’une puissance nucléaire, sous bon contrôle des Etats-Unis, ndlr).
Le film a donc une résonnance avec le Japon actuel ?
Oui, tout est lié. Il y a peu, des soldats japonais partaient en Irak pour participer aux opérations américaines, un croiseur a même été envoyé en opération dans la péninsule arabique. On trouve de plus en plus de gens qui croient que les guerres sont nécessaires pour des motifs économiques. On est arrivé à un seuil de bêtise intolérable, pour pouvoir justifier la guerre aussi facilement. Comme quoi, la médiocrité humaine traverse les âges sans beaucoup changer. Ce sont les apparences qui changent.
Mais le traitement historique vous intéresse moins que le film intimiste, non ?
La guerre ne se déroule pas que sur les champs de bataille, mais aussi à la maison. Shigeko (personnage féminin du film, ndlr), est un personnage très important à mes yeux. C’est elle qui incarne tous les dommages collatéraux de cette guerre. C’est elle, la vraie victime. C’est à elle de faire tenir le foyer debout, lorsque son mari revient mutilé et s’avère incapable d’être autonome. Cette femme satisfait tous les désirs de son mari sans broncher, du moins au début. Elle le fait car elle a aussi ses propres désirs à satisfaire. C’est un personnage d’une tolérance extrême. Même quand elle devient hystérique, elle conserve une part de bonté. Elle pourrait juste nourrir son mari, sans faire l’amour avec lui.
Comme souvent dans vos films, la sexualité reste une forme de communication supérieure à la parole.
Peut être, mais ce n’est pas le seul moyen. Je filme beaucoup le sexe, mais en fait, je suis très mauvais en la matière, incapable de disserter dessus (sourire). C’est plus mon inconscient qui parle : je mets le sexe en image, sans l’expliquer. Si je le pouvais, je serais écrivain plutôt que réalisateur. Un film, c’est souvent difficile à mettre en place. Un écrivain n’a peut être besoin que de papier et un stylo ou un ordinateur, mais il doit inventer toute une psychologie. Je préfère peut être la difficulté matérielle d’un film parce que je n’ai pas à expliquer les choses. Les images le font pour moi.
Vous préférez souvent les scènes en intérieur. La guerre apparait en second plan du film…
La réalité quotidienne a plus d’impact que la violence explicite quand il s’agit de dépeindre l’horreur de la guerre. Le soldat de mon film revient de Chine, où il a commis des choses atroces. Il n’est que le résultat de l’armée, de l’éducation de l’époque, du bourrage de crâne impérialiste qu’on inculquait dans les écoles. Cette cruauté ne peut se développer que par le quotidien. C’est la même chose chez les yakusas : la cruauté s’enseigne au jour le jour. Et bien sûr : impossible de contester quoi que ce soit ! Aujourd’hui, les gens continuent à croire les mensonges du gouvernement. Il n’y a plus de place pour le doute, on dirait. Je ne parle même pas de la relation avec les Etats-Unis. Quand un politique japonais est élu Premier Ministre, il s’empresse de se rendre aux Etats-Unis pour sa visite de courtoisie. Le Japon est devenu le chien domestique de l’Amérique. On dirait que le renoncement fait partie intégrante du caractère japonais.
Dans une autre interview, vous dites avoir crée l’idiot du village du film en pensant à vous. C’est un personnage important, qui semble extérieur à tout cet engouement pour la guerre…
Pendant longtemps, le personnage n’existait pas dans le scénario. Je l’ai rajouté au dernier moment. Pendant la guerre, beaucoup de gens se faisaient passer pour des malades psychiatriques pour ne pas se retrouver sur le front. Je crois que j’aurais fait la même chose (rires). J’aurais tout fait pour rester dans le cinéma, j’imagine.
Comment êtes-vous arrivé au cinéma ?
Quand j’étais jeune, j’étais en colère contre tout. J’ai commencé par être un voyou. Puis j’ai eu une sale histoire avec la police : j’ai été arrêté et envoyé en prison à cause d’un flic. Dans ma cellule, je ne pensais plus qu’à une seule chose : me venger de lui. C’est de là que me vient cette haine contre les institutions. Le cinéma est heureusement arrivé à ce moment-là : il m’a permis de canaliser ma colère, de l’exprimer de manière indirecte. C’est quand même mieux de faire mourir un flic à l’écran que de le tuer pour de vrai, non ? (rires)
Cette colère n’a jamais diminué, on dirait…
Disons qu’elle a changé de cible. Aujourd’hui, ce qui m’insupporte le plus, c’est le mensonge politique. Je crois que ça transparait surtout dans mes films récents. A chaque fois, il y a la même question : qui a pu rendre le Japon aussi glauque ? Le peuple a aussi sa responsabilité : c’est lui qui élit les politiciens et croit à leurs mensonges. J’aimerais tellement que les Japonais se réveillent.
Dans les années 70, vous êtes partis en Palestine pour filmer les mouvements révolutionnaires armés. Aujourd’hui, votre discours politique semble moins dogmatique. Vous sentez-vous repenti ?
Je ressens surtout une certaine désillusion. Il m’arrive de revoir certains de mes anciens compagnons d’armes. Quand j’en vois certains tourner le dos à leur conviction et pactiser avec leurs anciens ennemis, ça me donne la nausée. Mais la lutte est loin d’être terminée. Pour cela, il faudrait que les gens se bougent. Les révolutions naissent du peuple, pas de pays étrangers qui croient avoir un droit d’ingérence dans nos affaires.
A quoi vous sert le cinéma aujourd’hui ?
Je fais des films parce que je ne sais rien faire d’autre. Je ne suis pas un manuel et je suis trop vieux pour devenir agriculteur. Je n’ai jamais touché de salaires réguliers. C’est un problème, vous savez : j’ai 73 ans et je n’ai jamais cotisé pour ma retraite ! (rires). Je ferai des films jusqu’à ce que je ne tienne plus debout.
Dans les années 60, vous faisiez jusqu’à 10 films par an. En France, on compare souvent vos méthodes à celle de la Nouvelle Vague. Vous êtes d’accord ?
Godard est la seule personne à m’avoir influencé dans toute ma carrière. C’est lui qui m’a donné envie de faire du cinéma. C’est moins le contenu de ses films que la manière de les réaliser qui m’a inspiré.
C’est l’énergie de ses premiers films, cette volonté de filmer vite et à tout prix qui vous a inspiré ?
C’est lui qui m’a fait comprendre qu’il n’y a pas de grammaire du cinéma, que les films peuvent se faire comme une guérilla. A part lui, personne ne m’a influencé. Mais je pense que je tourne plus rapidement que lui ! Il n’a jamais réalisé 10 films par an, à ce que je sache ! (rires). Cet esprit de précipitation vient surtout de mon tempérament. Dès que j’ai quelque chose en tête, il faut que je le tourne tout de suite. C’est moins une nécessité qu’un caprice. Je suis comme un gamin qui veut à tout prix son jouet : je ne m’amuse que sur un plateau.
En France, vous êtes considéré comme celui qui a révolutionné le film érotique.
Pourtant, l’érotisme ne m’intéresse pas plus que ça. J’ai inséré des séquences érotiques dans mes films pour obtenir plus facilement des financements. Parfois, je prolongeais certaines séquences de sexe, juste parce que je savais que je gagnerais un public plus large. Devant le succès de mes films, d’autres réalisateurs se sont mis à inclure des scènes de sexe pour le même motif. A force, on nous a accolé une étiquette assez réductrice de pinku eiga (nom officiel du genre érotique japonais, ndlr). Je n’ai donc rien révolutionné, puisque le genre n’existait pas. Le terme « pinku » est apparu bien après le début de ma carrière.
Vous tournez aujourd’hui en numérique. Au-delà du facteur économique, c’est un choix esthétique ?
Ma façon de faire des films n’a pas changé. Si elle change, cela n’a rien de conscient, ou c’est parce que je travaille avec différents chef opérateurs. De toute façon, je me sens plus intéressé par le récit que par l’image.
Vraiment ? Vos films, en tout cas ceux des années 60-70, sont très construits, très picturaux…
Peut être, mais l’esthétique d’une image ne m’a jamais intéressé. Je préfère raconter une histoire et transmettre une émotion, bonne ou mauvaise, que de fabriquer de belles images.
Aujourd’hui, avec toute l’actualité et les rétrospectives qui vous sont consacrées en France, on peut parler de consécration.
Je ne comprends pas pourquoi les gens s’intéressent à mon cinéma. Les films en France sont si mauvais pour qu’on déterre les miens ? (rires)
Quel regard jetez-vous sur votre carrière ?
Chaque film est comme un de mes enfants. Quand je regarde mes anciens films, je les trouve assez mal réalisés. En tant que père, j’ai vraiment enfanté de sales gosses. Je ne sais pas si mon cinéma a évolué de manière positive. En tout cas, il a changé. Aujourd’hui, je fais des films plus librement. Quand j’étais jeune, j’étais souvent à la botte de mes distributeurs. Je me disais que, si 30 % de mes films pouvaient transmettre ce que je voulais dire, le travail était accompli. Les 70 % restants étaient destinés aux distributeurs et aux exploitants. Aujourd’hui, le taux est inversé : je suis libre à 70 % ! (rires)
Avez-vous vu le film sur Carlos ? (le film d’Olivier Assayas sortait en salles lorsque notre interview a eu lieu, ndlr)
Non, je ne l’ai pas encore vu, mais ça m’intéresse énormément. D’ailleurs, si les droits du film pour la distribution au Japon n’ont pas trouvé preneur, je suis intéressé.
Ça vous fait quel effet, qu’on s’intéresse aujourd’hui aux figures controversées du terrorisme international ?
J’ai pu rencontrer Carlos une fois. J’étais en voyage à Damas pour rencontrer des membres de l’Armée Révolutionnaire du Japon. Ils buvaient un coup avec lui. C’était quelqu’un de tellement gentil, de très souriant. On ne pouvait pas imaginer une seconde qu’il pouvait être terroriste. Comme quoi, on ne peut jamais juger quelqu’un à son visage…
Propos recueillis par
Lire notre chronique du Soldat dieu
(remerciements à Shoko Takahashi pour la traduction)