Rencontre avec Billy Corgan, musicien et leader des Smashing Pumpkins et Claire Fercak, romancière, à l’occasion de la publication de leur roman autour d‘Echo et Médée, « Chants magnétiques ».
L’initiative est surprenante, l’entreprise risquée. Rares sont ceux qui auraient misé sur un duo littéraire avec Billy Corgan, pape du rock à guitares des années 90 et mégalomane repenti. Claire Fercak, jeune plume française, n’a jamais douté. L’auteur du Rideau de verre (réédité en poche par les éditions J’ai lu) et le leader des Smashing Pumpkins ont oeuvré de concert pour s’emparer de mythes célèbres. Médée pour lui, Echo pour elle. A eux deux, ils réinterprètent de manière décomplexée l’histoire de ces amoureuses célèbres et composent un dialogue fantasmé entre les deux femmes. Souvenez-vous, Echo, la nymphe rejetée par Narcisse, dont seule sa voix demeure, deviendra le phénomène sonore qui porte son nom. Médée, la magicienne, elle, tuera les enfants qu’elle a eus de Jason pour se venger de son abandon. Rêveries autour de deux grands mythes féminins tragiques, les deux récits se répondent avec force. « Le lyrisme est le développement d’une exclamation », écrivait Valéry. Oniriques et ardents, ces Chants magnétiques en sont la parfaite illustration. Si de Billy Corgan (quoi de plus logique d’ailleurs qu’une star du rock pour approcher la légende de Narcisse), on avait jusqu’à présent plus l’habitude de voir les textes rageurs s’étaler en lettres blanches sur les sacs à dos lycéens (« The world is a vampire »), ce recueil de poésie consacre définitivement la qualité de son écriture et celle de sa co-auteure. Dans un hôtel parisien, près de la Concorde, tous deux recevaient, à l’heure du thé.
Chronic’art : Comment s’est déroulée la naissance de Chants magnétiques. Vous n’appréhendiez pas d’écrire ce recueil à quatre mains ?
Billy Corgan : Nous nous sommes rencontrés grâce au livre de Claire qui tournait autour de l’univers des Smashing Pumpkins (Tarantula box set, ndlr), puis nous sommes devenus amis et n’avons plus parlé du groupe. J’ai eu de nouveau envie d’écrire, je me suis tourné spontanément vers elle. Pour Chants magnétiques, notre première idée était de se partager les chapitres mais nous avons vite fait le choix de traiter d’un mythe chacun. Claire s’est occupée d’Echo et moi de Médée. Tout le reste n’était qu’une question de confiance. Nous avions des échanges téléphoniques mais on ne surveillait pas le travail de l’autre. En fait, nous ne nous demandions même pas comment les deux textes allaient fonctionner ensemble. J’ai lu ses textes après les miens. Cela a plutôt bien marché au final.
Claire Fercak : Rien de plus simple pour moi, surtout quand votre co-auteur habite de l’autre côté de l’Atlantique et passe un maximum de temps en studio d’enregistrement (rires) ! Billy est venu à Paris, je suis allé à Chicago, puis nous avons travaillé sur les correspondances que nous voulions créer entre ces deux mythes. Par la suite, nous avons accepté de prendre un risque : nous éloigner des premiers jets et tout baser sur la confiance. Nous étions conscients que certaines choses allaient nous échapper, se fondre dans l’écriture de l’autre.
Pourquoi avoir choisi ces deux figures mythologiques bien connues d’Echo et Médée ?
B.C. : Associer Echo et Médée, ces deux âmes que la passion consume, m’a semblé évident. De plus, j’ai toujours été fasciné par le thème de la mère infanticide. Ma mère m’a abandonné quand j’avais l’âge de 4 ans. Cette image de la mère sacrifiant ses enfants a donc pour moi des échos très personnels. Je souhaitais donner une nouvelle épaisseur à la légende…
C.F. : L’idée de s’emparer d’un mythe vient de Billy mais j’ai choisi Echo car elle me fascine depuis longtemps. Comparée à Médée, le mythe d’Echo a été beaucoup moins traité dans les Arts. On trouve de magnifiques opéras, bien sûr, mais c’est à peu près tout. Il n’existe que trois pages tirées des Métamorphoses d’Ovide relatant les amours mythiques d’Echo. Dès le départ, tout est contrainte avec Médée : elle disparaît peu à peu, se transforme en voix, il faut être ingénieux pour la faire vivre dans le récit. Ce fut pour moi une magnifique occasion de jouer avec les mots et les sonorités, d’inventer un nouveau langage pour qu’elle puisse atteindre Narcisse.
Je vous trouve respectueux du texte original ; particulièrement dans la partie écrite par Billy. On aurait pu s’attendre à ce que vous preniez plus de libertés…
B.C. : Non, je le vois différemment. J’ai beaucoup travaillé autour de la musique folk, sa tradition musicale, parolière et historique. J’appréhende mon texte de la même manière. C’est une réinterprétation d’une architecture classique. J’en donne modestement ma propre version, tel un chanteur. Il m’est apparu qu’un style plutôt neutre était à même de souligner la violence inhérente à la légende. C’est la même chose lorsque je compose un morceau ; pour être honnête, cela fait longtemps que j’ai abandonné l’idée de créer quelque chose de totalement nouveau. Ce qui est ironique, c’est que cela m’a libéré. J’étais esclave de mon égo et constamment frustré.
C.F. : Dans ma version, Echo discourt avec Médée, elle tente de communiquer avec Narcisse par le biais de la nature, de la musique, je fais aussi intervenir un choeur maléfique. Elle croisera même Fenrir, le loup des mythes scandinaves, ce qui est une pure invention, tout comme ma fin. Finalement, on est très loin du mythe originel à mon sens.
C’était volontaire ces approches narratives si différentes ?
C.F. : Volontaire, non. Les textes fonctionnent bien ainsi, c’est un heureux hasard. Il est clair que mon approche est plus déstructurée que celle de Billy. Le choeur de la tragédie ajoute encore à la confusion en tentant de brouiller le déroulement de l’histoire.
Claire, on trouve une citation cachée de Roland Barthes dans ton texte. Quelle est son sens ?
Elle est tirée de Fragments d’un discours amoureux que je relisais pendant l’écriture de Chants magnétiques. C’est un questionnement sur le langage amoureux. Comment faire pour parler à l’autre, qui ne nous entend pas ? Cela illustre bien la problématique que soulève la désincarnation d’Echo, sa solitude.
Billy, ce n’est pas ta première expérience littéraire. Fin 2004, tu as publié un premier recueil de poésie, Blinking with fists (Faber And Faber, 2004). Comment ton travail littéraire est-il reçu aux Etats-Unis ?
B.C. : Comme de la merde (rires) ! Pour eux, je reste à jamais prisonnier de mon statut de rock-star. D’accord, les musiciens rock sont généralement des idiots. Dans le fantasme américain, un musicien, aussi talentueux soit-il, n’est guère crédible quand il cherche à s’exprimer au travers d’une autre forme d’art. Malgré tout, mon recueil a été le livre de poésie le plus vendu de l’année aux Etats-Unis. Je suis plutôt satisfait d’être un poète merdique qui touche un maximum de monde et, sincèrement, je ne me réfère guère à ce que pensent mes compatriotes de mon travail. Certains de mes disques étaient très mal considérés dans les années 90, par les mêmes personnes : ce sont maintenant des classiques.
Quelle est la place de la poésie aujourd’hui ? Un recueil comme Chants magnétiques peut-il s’imposer auprès de la nouvelle génération ?
C.F. : (elle réfléchit un instant…) Certaines maisons d’édition pensent qu’on ne lit carrément plus de poésie. Il y a, certes, moins de place pour la poésie mais le milieu est toujours vivant. Son actualité par contre est mal relayée par la presse. Il y a un vrai malentendu là-dessus. Aujourd’hui, Beckett aurait essuyé beaucoup de refus pour ses textes. Pourtant, son public est toujours là et les gens le lisent avec toujours autant de passion. C’est dommage mais beaucoup de maisons d’éditions ne veulent plus miser sur un recueil de poésie écrit par un auteur encore méconnu. Heureusement, des éditeurs comme les Editions de Minuit ou Verticales continuent d’alimenter les sorties, c’est déjà ça.
B.C. : Il y aura toujours des gamins pour dévorer de la poésie et ouvrir l’horizon de leurs vies. Du moins, lire a toujours été salutaire pour moi. En ce moment, le slam marche particulièrement bien chez les jeunes américains mais c’est un pur produit de la culture hip-hop (il se lance alors dans une imitation au phrasé volontairement naïf). Je ne dis pas que ce n’est pas de la poésie mais j’ai du mal à considérer cela avec le même intérêt que pour Ovide ou Rimbaud, pour ne citer qu’eux. Je me fais peut être vieux (rires) !
Billy, suis-tu le même processus créatif quand il s’agit d’écrire des textes pour ton groupe ou pour un livre ?
B.C. : C’est très proche. Pour les deux, je ménage des moments forts, des accalmies. La chanson est toujours une forme de poésie.
Quels sont vos projets ?
C.F. : Je viens de terminer un livre pour enfant, Louga et la maison imaginaire (Ecole des Loisirs), illustré par Adrien Albert. Ce livre est l’adaptation d’une fiction radiophonique que j’ai écrite pour France Culture, Conte noir de la poupée. Je continue de travailler sur un nouveau roman. Par contre, je ne souhaite pas encore en parler, je ne suis pas prête, j’ai besoin de faire le tri…
B.C. : En ce qui me concerne, je continue de travailler sur Teargarden by kaleidyscope, un nouvel album composé de 44 chansons. Ces chansons sont distribuées au fur et à mesure et gratuitement sur le site officiel de mon groupe depuis la mi-septembre. J’avance aussi doucement dans la rédaction de mon « mémoire spirituel ». Non, je vous assure que ce n’est pas un caprice de people.
Pourquoi livrer un morceau à la fois pour cet album ?
Cela demande beaucoup d’énergie d’écrire un album. D’autant qu’une majorité de personnes, particulièrement les plus jeunes, n’en écoute plus : c’est le règne de la lecture aléatoire avec les lecteurs MP3. Je souhaitais surtout sortir ces titres gratuitement et retrouver mon indépendance. Ce n’est pas nouveau, j’avais déjà fait circuler gratuitement sur le Net Machina II / The Friends & enemies of modern music, en 2000.
Pour finir, avais-tu aimé la version de Médée de Pasolini ?
(il hésite quelques secondes…) J’aime beaucoup Pasolini mais je n’ai pas vu celui-là. Peut être des bribes ? C’est très arty, non ? Je devrais peut être ingurgiter quelques champignons pour me plonger dans ce film (rires).
Propos recueillis par
Chants magnétiques, de Claire Fercak et Billy Corgan
(Lauréli / Léo Scheer)
Traduction de l’anglais du texte de Billy Corgan par Nathalie Bru
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