C’est la 11e édition des Utopiales, le Festival International de la Science-fiction, à Nantes. L’occasion d’updater votre culture SF, avec ces conseils de lecture des auteurs invités.
Ian McDonald, Le Fleuve des dieux (Denoël, 2010)
Celui-ci, c’est une perle. On voue renvoie à notre chronique, pour vous dire tout le bien qu’on pense de ce chef-d’oeuvre polyphonique à la poésie rare, qui remobilise des thèmes classiques de la science-fiction (IA, aliens, Singularité) dans le cadre chaotique de l’Inde des années 2040. Gros, gros morceau.
Larry Niven et Jerry Pournelle, La Paille dans l’œil de Dieu (Pocket, 2010)
Publié en 1974, ce space opera militaire centré sur le premier contact avec une espèce étrangère fait figure de modèle indépassable du genre. Alors bien sûr, c’est looooong, c’est didactique, c’est ultra-linéaire, mais c’est aussi une vraie réflexion sur la place de l’homme dans l’univers, et les conséquences éthiques d’une rencontre avec les aliens. Après ce sommet, qui dût donner des idées à Georges Lucas, il faudra attendre Hypérion de Dan Simmons (1992) pour vibrer à nouveau avec le space op’. Larry Niven est une légende, profitons-en.
Laurent Kloetzer, CLEER, une fantaisie corporate (Denoël, 2010)
Une plongée hallucinante au coeur du capitalisme triomphant, dont Cleer est à la fois une description minutieuse, une satire, et un exercice d’admiration. La société éponyme ne produit rien, mais elle communique, contrôle l’information, et derrière son slogan bateau (« Be yourself »), apparaît comme une transnationale idéale, impliquée sur tous les marchés, dont la raison d’être est d’entretenir l’image d’un monde des affaires propre, transparent, et respectueux de l’humain. Un trip étrange, entre malaise et fascination (cf. Chronic’art #69, en kiosque).
Anthologie, Le Jardin schizologique (La Volte, 2010)
Après Ceux qui nous veulent du bien, une anthologie sur les dérives de la société de contrôle (cf. Chronic’art #69, en kiosque), La Volte publie un projet plus original, plus ambitieux aussi, sur la schizophrénie. Plus que sur la maladie elle-même et ses symptômes cliniques, c’est à une littérature contaminée par le morcellement, le délire, le multiple, une littérature schizogène, que nous invite l’anthologie dirigée par Olivier Noël. Les auteurs ont lu leur Deleuze, c’est évident ; du « conte de fées clinique » plein de branchements, de coupures, et d’énergies fécales de Sébastien Wojewodka (courage, c’est presque illisible), au vagabond qui fait parler le vent pour recréer la multitude d’Alain Damasio (au style… riche, comme d’habitude), le patronage de l’auteur de l’Anti-Œdipe est évident. Stéphane Beauverger (encore lui !) et Thomas Becker signent les deux meilleures nouvelles du recueil. Une plongée délicieuse au coeur de la folie et du chaos.
Michel Jeury, Le Temps incertain (Ailleurs & Demain, Robert Laffont, 2008)
La France a eu son Philip K. Dick, mais elle ne le sait pas. Si on n’a pas eu le temps de lire May le monde (Ailleurs & Demain, 2010) qui marque le retour de Michel Jeury à la science-fiction après un silence de presque vingt ans, on ne saurait trop recommander la réédition de son Opus Magnum, Le Temps incertain, paru en 1974 – peut-être le meilleur roman français de SF ever. Jeury y invente la « chronolyse » (littéralement : l’analyse du temps), une plongée hallucinatoire dans l’inconscient, les souvenirs, et la temporalité désarticulée du rêve. Roman-labyrinthe, à la narration bégayante, qui n’en oublie pas d’être beau, offrant de saisissantes plages contemplatives à la tonalité existentialiste. Au bout du temps, par-delà le chaos de l’histoire, il y a un havre éternel, la « Perte en Ruaba », paradis sans déclin ni chute pour tous les écœurés de la vie terrestre. Et si on redécouvrait ce joyau de notre patrimoine ?
Jean-Philippe Depotte, Démons de Paris (Denoël, 2010)
Pour le Prix Européen des Utopiales 2010, on n’a pas vraiment de préférence. Cygnis de Vincent Gessler et Ordre noir de Johan Héliot ont des têtes de vainqueur, mais on misera plutôt sur un outsider, ce Démons de Paris qui ne nous a pas complètement envoûtés à sa sortie, mais que l’on relit aujourd’hui sans déplaisir. Parce que la Belle époque, l’occultisme, la société industrielle, Paris, c’est quand même un cocktail qui marche.
Bifrost n°60 (Lé Bélial)
C’est la revue des connaisseurs, la meilleure dans son genre. Manque de pot, le numéro 60 est un « spécial Vampires »… Cela permettra d’être au point sur le sujet, même si on s’en fout. On retrouvera les rubriques habituelles (chroniques, actualités), et une chouette nouvelle d’Eric Holstein, qui parle de suceurs de sang dans un camp de roms, jacte le parigot sorti du rade, et s’intitule « Enculés !». Tout un programme.
Anthologie Utopiales 2010, Frontières (ActuSF)
Enfin, pour ceux veulent goûter aux multiples saveurs des Utopiales en un minimum de temps, ActuSF publie pour la deuxième fois une anthologie d’une dizaine d’auteurs présents au salon. Enfin, pas tout à fait présents, puisque Lucius Shepard (auteur de l’excellent « Chasseur de Jaguar ») a décliné l’invitation depuis un moment, pour raisons de santé. Il faudra d’ailleurs revenir sur ce styliste hors-pair dont le colossal premier roman, La Vie en temps de guerre, reparaît ces jours-ci (Mnémos « Dédales », 2010). Au menu quand même, nos deux nouveaux poids lourds, Ian McDonald et Peter Watts, pour deux nouvelles qui écrasent la concurrence : le premier, avec un beau récit autour des rêves martiens déçus, plein de visions futuristes, d’intelligences artificielles, et de mégalopoles indiennes (Le Fleuve des dieux est déjà en germe) ; le second, avec l’histoire d’une intelligence supérieure qui a accidentellement chuté dans l’existence terrestre, dont elle ne comprend pas la rigidité et l’attachement à l’individuation. Hauteur de vue sidérante, et décollage garanti. Autour, le reste est un peu anecdotique… Une bonne antho quand même.
Retrouvez le programme complet des tables rondes ainsi que la liste des auteurs invités sur le site du festival