Après l’élégiaque « Mysterious skin » et la récré fumette de « Smiley face », Gregg Araki remonte dans le manège de la « teen apocalypse trilogy » avec Kaboom, qu’il dit avoir fait pour les fans, mais qui n’est pas loin d’être son meilleur film.
Chronic’art : D’où vient l’idée de Kaboom ?
Gregg Araki : Au départ, j’avais envie de faire un film qui traite de ce moment incertain, quand vous avez 18 ou 20 ans, que vous commencez la fac, et que vous ne savez pas vraiment ni qui vous êtes ni qui vous allez devenir, ce que vous allez faire de votre vie, si vous êtes gay ou straight… C’est un moment où vous êtes une sorte de page blanche, et pour un cinéaste, c’est un questionnement fascinant, parce qu’il est totalement ouvert. Beaucoup d’éléments du script sont autobiographiques – hormis évidemment l’histoire elle-même. Le film est totalement imprégné des choses que je vivais à l’époque, le campus est inspiré de mes souvenirs de fac, où j’étudiais le cinéma, comme le personnage principal. Traîner dans les coffee shops, c’est grosso modo le souvenir que j’ai de la fac… Je me suis servi de tous ces éléments et j’ai voulu les transposer dans une histoire un peu dingue qui mêle différents genres, différentes histoires…
Le « kaboom » du titre tient lieu de mot d’ordre pour la mise en scène. Le film est porté par une constante logique d’explosion, d’intensité maximale… C’est une forme d’apocalypse permanente et joyeuse…
Je crois que c’est un des thèmes du film. Quand vous êtes jeune, toutes vos émotions sont très intenses. Il suffit que vous ratiez un examen, ou que vous vous fassiez larguer, et vous avez l’impression que c’est la fin du monde. Etre amoureux, c’est toujours le début ou la fin d’un monde, vos hormones rendent tout énorme et extrêmement signifiant. J’ai voulu essayer de relier ce sentiment permanent d’apocalypse émotionnelle à quelque chose de plus réel, concret. Et si le monde s’effondrait réellement ? C’est un point de départ métaphorique, ramené à une dimension très littérale.
Et cette idée là contamine tout, le récit, la mise en scène. A ce titre, la fin peut être lue comme une sorte d’orgasme narratif, comme si le film lui-même se retrouvait propulsé par la libido des personnages, emporté par leur envie de jouir à tout prix…
L’orgasme ultime ! Oui, vous pouvez le voir comme ça. Le film entier est une explosion, l’expression d’une pure liberté, et cette liberté est essentiellement sexuelle. J’ai conçu le film comme un ride sexy, fou et amusant. Au début, je voulais en faire une épopée dark, une sorte de conte biblique, et d’ailleurs un des premiers titres était « The End of all things ». Il reste une certaine noirceur sous-jacente, mais finalement c’est très léger, très pop et lumineux.
Oui, le film semble prolonger assez naturellement la ligne de la trilogie « teen apocalypse », mais en l’expurgeant de son romantisme noir, comme s’il n’en retenait que l’énergie…
D’une certaine manière, oui. On retrouve beaucoup de thèmes de The Doom generation par exemple, mais c’est différent. The Doom generation était très noir, très désespéré, c’est un film qui contenait beaucoup plus de colère. J’imagine que j’ai grandi, que j’ai un regard plus optimiste. Je suis quelqu’un de plus sage, et Kaboom est à cette image. A 20 ans, j’étais très tourmenté, bardé d’angoisses existentielles. Kaboom traite des mêmes angoisses, mais avec une plus grande distance.
The Doom Generation et Nowhere était très liés à leur époque. Il y avait dans ces films une forte charge satirique, beaucoup d’ironie sur les images dominantes de la jeunesse – vous décriviez Nowhere comme un « épisode de Beverly Hills sous acides ». On a le sentiment que Kaboom s’éloigne de cette dimension de commentaire, comme si les situations, les personnages, étaient ramenés à de purs moteurs de fiction…
C’est juste, même si je n’y ai pas pensé de cette manière. J’ai laissé les personnages parler à travers l’écriture du script, de manière très naturelle. Mon objectif était, en partant d’expériences personnelles, de m’autoriser la plus grande liberté possible, de laisser l’histoire et les personnages suivre leur propre chemin. C’est comme ça que tous les trucs un peu dingues ont trouvé leur place, les super pouvoirs, la sorcellerie… La seule règle que je me sois fixé, c’était de ne pas avoir de règles. L’histoire pouvait prendre n’importe quelle direction. Le film crée son propre monde, sa propre logique.
Vous considérez-vous toujours comme un réalisateur de teen movies ?
Pas vraiment. Je considère que la trilogie « teen apocalypse » est derrière moi. Kaboom est un film que j’ai fait, en quelque sorte, pour les fans de Gregg Araki. A chaque fois que je présente mes films, il y a toujours des kids pour venir me dire, alors qu’ils sont trop jeunes pour avoir vu le film à l’époque, que The Doom generation a changé leur vie. C’est le plus beau compliment qu’on puisse recevoir. Alors j’ai voulu faire un film pour eux. Mais en même temps, je n’avais pas envie de me répéter, de revenir en arrière. Je voulais revisiter ces choses-là mais sous un angle nouveau. Faire quelque chose de vieux et de neuf à la fois.
Propos recueillis pas
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