Autant raillés que supportés – c’est généralement bon signe -, les Bogdanoff poursuivent leur entreprise évangéliste pour tenter de nous expliquer l’origine de l’univers. Quel est donc ce mystère de l’avant Big Bang ? Voilà ce que voudraient bien percer Igor et Grichka à travers « Le Visage de Dieu », leur dernier ouvrage de vulgarisation scientifique qui nous a donné l’occasion de rencontrer ces jumeaux atypiques.
On ne saura jamais si nous avons eu affaire aux Bogdanov ou bien aux Bogdanoff (« Lorsqu’on a écrit nos premiers livres, les éditeurs trouvaient que « Bogdanoff » prenait trop de place ; il fallait donc économiser de l’espace, alors depuis, nous continuons de signer nos ouvrages sous le nom de « Bogdanov » »), mais Igor et Grichka nous ont chaleureusement reçu en la demeure du premier dans le 16e arrondissement de Paris, à l’occasion de la parution de leur dernier essai, Le Visage de Dieu (Grasset). Dans ce nouveau best-seller (le livre en question était en quatrième position des meilleures ventes de livres en juin), les Bogdanoff se demandent quel est le fabuleux secret qui se cache derrière le « bébé univers ». Pourquoi l’astrophysicien et cosmologue américain George Smoot a-t-il vu, dans l’avant Big Bang, soit l’instant même de la création, le « visage de Dieu » ? On entame la conversation en discutant de science-fiction, comme ça, gentiment. Dès l’âge de 8 ans, Igor et Grichka ont en effet baigné dans cette littérature, via Jules Verne et H.G. Wells, les pères fondateurs. Puis, ils ont avalé du Lovecraft, Asimov, Silverberg et, naturellement, tout Philip K. Dick. Avant d’embrayer sur les cyberpunks (Gibson, Sterling…). « Nous sommes nés à travers la science-fiction, ce qui nous a amenés à la science », admettent-ils, comme ils le revendiquaient obsessionnellement dans Temps X, cette tranche TV cultissime diffusée dans les années 80 sur TF1 et que personne n’a manifestement oubliée, jusqu’à espérer aujourd’hui sa réapparition (Igor : « Il ne se passe pas une journée sans que quelqu’un nous demande de recréer cette émission. Aussi, sommes-nous en train de réfléchir sérieusement à l’idée d’un Temps X des années 2010 »…). En attendant que les networks veuillent bien répondre aux attentes du public, Igor et Grichka, en marge des railleries et des « affaires » dont ils sont régulièrement la cible (notamment dans le milieu scientifique où l’on s’acharne à vouloir discréditer ces jumeaux iconoclastes et, sans doute, trop médiatiques), continuent coûte que coûte de nous révéler leur vision de l’avant Big Bang. Comme dans ce Visage de Dieu, tout de même préfacé par le Prix Nobel de Physique Robert W. Wilson, et qui pourrait bien faire l’objet, selon les auteurs, sous la forme d’un docu-fiction, d’une prochaine adaptation au cinéma.
Chronic’art : Pourquoi avoir choisi l’expression de l’astrophysicien et cosmologiste américain George Smoot, « Le Visage de Dieu », pour titre de votre dernier livre ?
Igor Bogdanoff : Comme lui, nous avons été frappés et fascinés en 1992 par les premières images transmises par COBE, le satellite qui a permis cette première prise de contact avec la lumière primordiale. A ce moment-là, Smoot s’était exclamé en affirmant : « C’est comme voir le visage de Dieu ». Métaphysiquement, cela nous a littéralement parlé puisque cette phrase redonnait toute sa place au mystère et à la transcendance : lorsque l’on est confronté à une image comme celle-là, on ne peut pas considérer que cela va de soi. D’où cela vient, qu’est-ce qui a présidé à l’apparition de ces images, est-ce qu’il y a, à l’arrière de cela, un grand horloger ? Ces questions traversent bien sûr fugacement l’esprit. Cette phrase nous a donc paru absolument illustrer ce mystère fondamental. Pour nous, l’univers ne va pas de soi, c’est quelque chose de très mystérieux, de très étonnant, très énigmatique. Prononcée par un scientifique, cette phrase n’est pas anodine et nous avons donc décidé, en quelque sorte, de lui rendre hommage à travers ce choix de titre pour notre livre.
C’est intéressant parce que, à la lecture de votre livre, on s’aperçoit que nombre de scientifiques et de chercheurs reconnus se sont demandé à un moment si, effectivement, il n’y avait pas quelque chose derrière, dès lors qu’il n’y avait plus d’explications. Comme s’il s’agissait de reconnaître que la science ne pouvait finalement pas tout expliquer. C’est le cas d’Einstein, par exemple…
A peu près à vingt ans de distance, deux hommes qui sont, l’un, Max Planck, fondateur de ce qu’on appelle la mécanique quantique, c’est-à-dire la physique de l’infiniment petit, et l’autre, Albert Einstein, fondateur de la relativité, parlent de la même chose. Einstein affirme que toute la matière découle d’une force. Lorsqu’un jeune garçon demande à Einstein : « Maître, est-ce que vous croyez que Dieu existe ? », il lui demande son adresse postale pour lui répondre par cette lettre qui est désormais célèbre et qui contient cette phrase qu’on retranscrit dans notre livre : « Tous ceux qui sont sérieusement impliqués dans la science finiront par reconnaître qu’un esprit se manifeste dans les lois de la nature. Un esprit immensément supérieur aux autres ». Einstein emploie le mot d’esprit, exactement comme Planck, plus de vingt ans avant. Et en effet, que ce soit Planck ou Einstein, que ce soit Dirac, Ehrenfest et d’autres grands penseurs de la science (beaucoup de Prix Nobel dans le lot), tous portent en eux une conviction profonde que l’univers reflète l’existence de quelque chose d’autre qui dépasse les assemblages de matière observables et qu’il y a quelque chose d’inexplicable derrière, qui dépasse la capacité à comprendre. D’une certaine manière, ils introduisent la transcendance dans l’acceptation ou la conception de la réalité. Il existe en dessous de la réalité qu’on peut comprendre par la science une autre réalité plus profonde qui, elle, demeure tout à fait énigmatique, mystérieuse. Et c’est dans ce sens-là que va la cosmologie, la seule discipline scientifique qui s’intéresse à l’origine de l’univers et à son évolution. Quand on se pose la question de l’origine, on ne peut pas échapper à celle de l’origine de l’origine : qu’est-ce qui a provoqué le passage du rien à quelque chose ? C’est une question fondamentale.
Comment expliquer le fait qu’une grande majorité de chercheurs qui se confrontent à cette question-là passe d’une quête scientifique à une quête mystique ?
Grichka Bogdanoff : Einstein écrit en 1955, au soir de sa vie : « Je ne suis pas intéressé par tel ou tel élément, je veux connaître la pensée de Dieu, tout le reste n’est que détails ». Quelques années plus tard, en 1989, le physicien-théoricien et cosmologiste américain Stephen Hawking reprend à son compte cette interrogation puisqu’il termine son essai Une Brève histoire du temps avec le mot « Dieu ». Précisément, il prétend que quand on aura percé le mystère du pourquoi de l’univers, on connaîtra la pensée de Dieu. Comme le dit Smoot, « la cosmologie est aux confluents de la physique, de la métaphysique et de la philosophie ». Lorsque l’on se pose la question ultime de l’origine de l’univers, les frontières entre ces trois disciplines deviennent inévitablement ténues.
Quelles sont les théories les plus connues en ce qui concerne l’avant Big Bang ?
Par rapport à l’avant Big Bang, il existe essentiellement deux théories qui se fondent sur deux approches de l’univers. D’abord, certains considèrent que l’univers n’est pas unique, qu’il existe des univers bi-parallèles les uns aux autres dans un contexte qu’on appelle le « multivers ». Ici, on applique à l’univers tout entier les lois de la mécanique quantique, qui veulent que l’univers est né d’une fluctuation, que le hasard intervient dans cette fluctuation et engendre une particule à partir d’une énergie, comme on peut l’observer en laboratoire ; dans ce cas, on peut appliquer ce raisonnement à l’univers tout entier et envisager ainsi des univers parallèles les uns aux autres. Ensuite, et à l’inverse, d’autres pensent que l’univers est unique. Nous penchons, nous, pour cette hypothèse : celle d’un univers unique puisqu’on ne peut observer à notre échelle qu’un seul grand univers et non pas plusieurs. Aussi, si les lois de la mécanique quantique s’appliquent bien sûr dans l’infiniment petit, celles-ci ne fonctionnent pas dans l’infiniment grand – rien qu’à notre échelle, déjà, la mécanique quantique n’a pas de sens. Enfin, à supposer même que l’on contourne cette obstruction, nous sommes dans une véritable impasse sur le plan scientifique, puisqu’on est obligé de mélanger l’univers à grande échelle – lorsqu’il redevient tout petit, il emporte avec lui sa propre échelle qui est très vaste – et l’univers à petite échelle. Comment, dans ce cas, ne pas mêler la relativité, qui est la théorie de la grande échelle, avec la mécanique quantique ? Or ce mélange est impossible. Il existe certes, aujourd’hui, des tentatives de mélanges (la théorie des quantiques, la supergravité, la théorie des cordes…), mais toutes ces approches qui tentent de réaliser cette synthèse entre ces deux grandes théories n’y parviennent pas.
Sans compter le fait que tout cela échappe, et échappera toujours, totalement à l’observation. De fait, notre point de vue est que, si on veut rester scientifique et, sans inventer des voies qui soient presque apparentées à la science-fiction, alors il faut considérer l’unicité de l’univers… Sous ce prisme-là, nous sommes ramenés vers un événement unique mais extraordinairement troublant, parce que fondé sur des paramètres cosmologiques, des constantes, des lois, qui sont telles qu’elles font apparaitre un grand ajustement initial. Plus on remonte vers l’instant du Big Bang, qu’on appelle l’instant de Planck – soit une fraction de seconde -, plus on constate que l’univers est organisé, réglé, programmé et parfaitement harmonique. Et cette harmonie, en quelque sorte, ainsi que la préexistence des lois qui la gouvernent, posent une question très sérieuse et très profonde à laquelle les scientifiques ne peuvent pas répondre. Pourquoi les constantes sont comme-ci et pas comme-ça ? Pourquoi elles ont telle valeur et pas telle autre ? Pourquoi la lumière va-t-elle à cette vitesse ? Pourquoi la force forte est-elle 137 fois plus forte que la force électromagnétique ?, etc. Il y a au moins une quinzaine de constantes qui représente des chiffres extraordinairement précis, avec dix, quinze, vingt décimales après la virgule et si l’on change ne serait-ce qu’un un seul de ces chiffres, plus rien de ce que nous connaissons n’existe : l’univers reste chaotique et, surtout, il n’y a plus aucune matière, plus rien. Si l’on devait faire appel au hasard pour organiser cela, ce serait aussi hasardeux, justement, que d’essayer d’assembler spontanément un Boeing 747 au cœur de la ceinture des astéroïdes, à partir des matériaux environnants.
A propos du hasard, vous affirmez clairement, dans Le Visage de Dieu, et comme vous le dites ici, qu’il n’a pas sa place dans la création de l’univers. Selon vous, tout va donc contre lui et, partant, la fameuse théorie du chaos, complètement antinomique à votre vision de l’univers, n’est-ce pas ?
En effet. Nous devons composer avec un monde qui n’est pas celui, concret, dans lequel nous vivons, fait d’énergie et de matière. C’est un monde qui est fait, à l’inverse, d’abstractions, autrement dit, d’informations. Et cette information que nous considérons nous comme étant le fondement de l’univers est la source de tout. L’information est parfaitement immatérielle, on ne peut la décrire avec aucun des principes qui relèvent de la physique. Il s’agit plutôt de mathématiques à travers lesquels on observe l’émergence de ce qu’on appelle l’espace-temps.
Vous voulez parlez de l’« Etat KMS » (KMS pour Kubo-Martin-Schwinger, soit un objet mathématique qui décrit les propriétés d’un système thermal à l’équilibre dans les systèmes de mécanique quantique, mécanique statistique et de théorie quantique des champs, ndlr) ?
Excellent, je ne pensais pas que vous étiez allé jusque-là ! C’est très subtil, mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Pourquoi évoquons-nous cela ? Parce que les équations nous y ont menés de manière naturelle… Par chance, nous avons eu le privilège d’avoir un directeur de thèse, Moshé Flato (physicien et mathématicien, membre du comité Nobel, fondateur et directeur du Laboratoire de physique mathématique de l’Université de Bourgogne, décédé en 1998, ndlr), qui était un grand spécialiste de ce qu’on appelle les groupes quantiques. Il s’agit d’algèbres qui permettent d’appréhender les formations des systèmes qu’elles prétendent décrire. Nous avons donc utilisé ces groupes quantiques pour décrire la déformation possible – soit l’au-delà de l’univers, de l’espace-temps, à l’échelle de Planck, avant le Big Bang. Cela nous a menés vers la compréhension d’un stade-zéro, d’un point-zéro, d’une échelle-zéro, caractérisés par cette présence dans ce que l’on appelle le « temps imaginaire » (le temps avant le Big Bang, selon la théorie des frères Bogdanoff, inspirée par Max Planck : le passé, le présent et le futur forment un seul et même temps, un temps fixe dont l’univers est seulement composé d’informations, sans particules, sans énergie et sans matière, ndlr). Ce point-zéro se caractérise par une densité d’informations extrêmement élevée, et non pas une densité d’énergie ou de matière, contrairement à ce qu’avancent certaines littératures. Nous pensons en effet qu’à l’origine, il existe un autre état totalement différent et que la physique ne peut pas saisir. On peut parler d’une forme d’infini, mais c’est une vision qui n’est pas suffisante, à notre avis. C’est ici que l’on parle d’un « état KMS », un état d’équilibre… Car l’état KMS combine les deux faces et les deux temps de l’univers. Puisqu’il y a les deux temps – un temps réel ou ordinaire, le nôtre, et un temps imaginaire -, cela signifie aussi qu’il a les deux faces de l’univers : la face réelle, celle qui est faite de matière et d’énergie – celle que l’on connaît, encore une fois -, et la face imaginaire, soit l’information pure. Et l’on constate finalement que le point-zéro et l’échelle de Planck sont séparés par cette transition de phases, propre à l’état KMS, où l’information du début se transforme en énergie, avec le temps ordinaire, qui commence. Cette énergie devient rapidement explosive, puisqu’elle est très accumulée dans une toute petite région de l’espace et, à ce moment-là, elle se déploie évidemment avec force.
Nous avons fait quelques recherches à ce sujet et il s’avère que l’ « état KMS » n’est pas une théorie très usitée, très connue… Honnêtement, entre nous, elle sort d’où cette théorie ?
Ce n’est pas très connu, c’est vrai. Nous sommes les premiers à l’évoquer et à l’exploiter. L’un des fondateurs de la théorie s’appelait Julian Schwinger, Prix Nobel de physique en 1965 et intime de notre directeur de thèse, Moshé Flato. Du coup, on a découvert, dans les années 90, cette théorie extrêmement forte, puissante et intrigante, qui est au carrefour des mathématiques et de la physique. Ici, on découvre un système qui est un état à l’équilibre, un temps qui oscille entre le temps réel et le temps imaginaire. Plus on remonte loin dans l’histoire de l’univers, plus l’univers est à l’équilibre. Nous avons été les premiers à l’affirmer, en 2000-2001, quand on a publié des papiers à ce propos dans des revues scientifiques. Ce sujet a soulevé pas mal de protestations, comme vous pouvez l’imaginer…
Vous voulez parler de la fameuse « affaire Bogdanoff » ?
Exactement. Mais il n’en reste pas moins que nous n’avons pas été contredits scientifiquement ; juste médiatiquement. Personne dans la science ne nous a apporté la preuve que ce que nous disions était faux. Bien au contraire…
Il n’empêche qu’en 2010, cette théorie n’a pas tellement avancé…
Elle n’a pas tellement avancé, en effet, parce que nous sommes les seuls à la mettre en avant et parce que c’est tellement caché par une perturbation de messages, de bruits, depuis 2002, qu’il n’a pas été possible de faire passer cette idée-là. Comme vous le savez, nous avons assisté à un extraordinaire déferlement de critiques, à un débat qui n’était pas vraiment honnête : les gens qui sont intervenus n’étaient pas équipés pour comprendre ce qu’on disait et d’autres, mieux renseignés, ne sont finalement pas intervenus parce qu’ils n’ont pas souhaité rentrer dans le débat ou tout simplement être associés à nous.
Rappelons aussi que l’affaire Sokal intervenait peu de temps avant et que l’on croyait alors à un nouveau canular (le physicien américain Alan Sokal publie en 1996 dans la revue Social Text un article généreusement assaisonné de non-sens qui sonne bien et qui flatte les préconceptions idéologiques des éditeurs. Ce canular fera l’objet, en 1997, d’un livre – Impostures intellectuelles – coécrit par Alan Sokal et Jean Bricmont, qui dénoncent les abus d’utilisation des sciences dures par les sociologues ou philosophes, ndlr)…
C’est exactement de là que tout est parti, puisque c’était une très bonne façon, subtile, il faut le reconnaître, mais en même temps très malhonnête, de disqualifier nos propos, en disant que finalement, on avait voulu nous aussi faire un canular, ce que nous avons rapidement et vigoureusement démenti. Mais on n’a jamais vraiment été entendu, parce qu’après, tout cela s’est propagé dans le monde entier : on a même fait la une du New York Times en 2002 ! Le Washington Post, le Times et beaucoup d’autres grands journaux ont évoqué cette histoire en disant : « Les frères Bogdanoff sont-ils des farceurs ou des génies ? ». Quoiqu’il en soit, reste notre hypothèse, et ceux qui la comprennent et l’analysent la valident, y compris, justement, les préfaciers de notre ouvrage, qui ne sont pas des moindres, puisque ce sont des prix Nobel.
Ce raisonnement qui veut qu’il n’y ait pas de hasard, vous l’appliquez à votre vie de tous les jours ?
Je pense que nous avons des données de liberté qui sont extrêmement importantes et que nous pouvons effectivement dévier à l’intérieur d’une écriture globale.
Comme dans un jeu vidéo ?
En quelque sorte, oui. Mais un jeu vidéo qui laisserait le choix de l’itinéraire, quand bien même le point d’arrivée et le point de départ seraient fixés au préalable. La liberté n’est donc pas totale, puisque tout cela s’inscrit dans un cadre, qui, lui, est extrêmement délimité, au départ, comme à l’arrivée ; c’est-à-dire là où il y a de l’information ; ce qui est valable pour l’univers tout entier et donc pour chacun de nous. Nous suivons tous ce que nous appelons une ligne d’univers, une trajectoire dans l’espace-temps. C’est ce qui constitue l’enveloppe de ce qu’on appelle le cône de lumière, qui définit finalement le milieu d’espace-temps dans lequel nous vivons, qui, lui, est fixe, rigide : on ne peut pas sortir de cette enveloppe, on ne pourra pas, par exemple, aller plus vite que la vitesse de la lumière… Ce cadre est là et c’est lui qui détermine la géométrie globale de notre univers, quand bien même nous sommes maîtres de notre trajectoire. Le hasard, s’il existe, intervient donc très localement, pas globalement.
Le hasard est donc maîtrisé, contrôlé… comme un programme informatique ?
Tout à fait, c’est un hasard programmé.
Quelle forme a l’univers, selon vos conclusions ?
Nous prenons un peu de risque en disant cela, mais nous sommes presque certains que l’univers est marginalement courbé ; c’est très léger, très près du plat, mais l’univers n’est pas plat. A l’instar de la Terre, qui, contrairement à ce que l’on a longtemps pensé, n’est pas plate.
Vous vous opposez au hasard. De la même manière, il semblerait que vous ne soyez pas adeptes de philosophie, puisque vous y faites très peu de références dans votre ouvrage…
Il y a peu de références, en effet, parce que nous sommes en train de construire en quelque sorte une nouvelle vision philosophique, pour laquelle il convient d’inventer à la fois des mots, des concepts et des mots qui correspondent à ces concepts. Avec Igor, on s’est dit récemment qu’une bonne façon de comprendre cet état d’information – en lieu et place de l’énergie et la matière – serait de créer finalement un système de pensée qui nous amènerait à voir les choses à travers le filtre et à travers le cadre conceptuel de ce qu’on appelle une théorie informationniste. En clair, l’informationnisme. L’informationnisme s’oppose au matérialisme. C’est donc autre chose que le spiritualisme, car d’habitude, on crée une opposition entre matérialisme et spiritualisme.
Pour autant, cela ne reste-t-il pas une croyance, une simple hypothèse ?
Si vous voulez. Mais au lieu de parler de spiritualisme, qui a une connotation problématique, il vaut mieux parler de quelque chose de plus précis, plus centré sur le contenu. Soit l’information. Nous restons ici dans quelque chose de complètement rationnel. Cela relève de l’importance de l’information dans notre univers, et les machines à traiter l’information que sont les ordinateurs nous ramènent vers des concepts qui sont de cet ordre-là.
Votre vision de l’avant Big Bang, lorsque le temps s’arrête et que l’on a affaire uniquement à de l’information pure, nous fait naturellement penser à la réalité virtuelle…
On peut parler d’un univers virtuel en quelque sorte, avant l’univers réel, et qui peut correspondre à cela…
Alors quoi ? En bons fans de Star Trek, vous voulez dire que nous sommes dans un holodeck (une salle qui recrée des environnements virtuels pour l’entraînement ou le divertissement, ndlr), ou alors dans un immense jeu en ligne ?
Incontestablement, il y a un lien avec tout cela. On peut parler aussi de l’hyperespace, comme nous l’a raconté la littérature de science-fiction ; si l’on adopte l’idée d’un temps imaginaire, il est envisageable d’abolir les vecteurs temps et espace, puisque le temps réel disparait. A partir du moment où on n’a plus d’échelle, on peut vraiment superposer arbitrairement les endroits les plus éloignés de l’univers et donc rejoindre ces régions les plus éloignées. Basculer dans l’hyperespace, cela n’a jamais été dit, mais c’est changer la métrique de l’espace-temps et la remplacer par une métrique euclidienne, c’est-à-dire une métrique qui relève du temps imaginaire. La science-fiction, comme d’habitude, précède la réalité.
Dans le même esprit, il y a cette notion du trou noir…
Nous avons eu l’occasion de beaucoup réfléchir sur ce thème du trou noir, de rencontrer certains de ses plus éminents spécialistes internationaux ; on a eu la chance, par exemple, d’avoir une longue correspondance avec John Wheeler. Il a travaillé en profondeur avec Einstein (le père-fondateur de la relativité), puis avec le physicien danois Niels Bohr (l’un des pères-fondateurs de la mécanique quantique, et inventeur du mot « trou noir », en 1965). Niels Bohrn, qui a donc une vraie légitimité, a connu trois époques. Pendant la première époque de sa vie, il pensait que tout était matière. Erreur. Ensuite, deuxième époque, il a longtemps pensé que tout était énergie. Nouvelle erreur. Enfin, dans les années 80-90, il avoue et clame que tout est information. John Wheeler explique tout cela dans un livre remarquable qui a eu beaucoup de succès : It from bit. « It », c’est la chose, « from » signifie « à partir de », et « bit », enfin, désigne l’information. Niels Bohrn et John Wheeler nous permettent donc d’avoir cette vision informationniste en répondant à la question posée par la plupart des physiciens aujourd’hui : que se passe-t-il si un objet physique est jeté à l’intérieur d’un trou noir ? Jusqu’en 2006, Stephen Hawking lui-même pensait que la matière était, dans ce cas, irrémédiablement perdue, puisque broyée. Or, en 2006 donc, il change finalement d’avis, après avoir publié durant vingt ans des articles qui allaient dans ce sens. Il nous dit que si l’on jette un objet dans un trou noir, celui-ci va passer l’horizon des événements et basculer vers la singularité. Ainsi, quelque chose va être conservé et ce quelque chose, c’est l’information, qui permettrait même de reconstituer complètement l’objet en question. C’est intéressant, car c’est la première fois qu’en physique théorique, on s’approprie ce thème de l’information et que l’on admet que celle-ci est conservée à l’intérieur du trou noir. En clair, si je jette un exemplaire du magazine Chronic’art dans le trou noir, il va basculer et finir son cycle d’évanescence et de dématérialisation sous la singularité initiale. Là, il va basculer dans le temps imaginaire et va devenir une information pure…
Comme une trace ?
Oui, ce sont des traces d’information, qui sont, en quelque sorte, encodées numériquement, et ce code numérique est là, il est conservé. Il y a un certain nombre de bits d’information, des successions de zéro et de un, et ce code reste, il est protégé par la singularité. Igor et moi appliquons ce même raisonnement à l’univers tout entier en affirmant que ce qui est vrai dans le cas de la singularité finale doit l’être aussi dans le cas de la singularité initiale. Cette information doit forcément être conservée ; elle se déploie dans l’espace-temps et engendre la réalité telle que nous la connaissons. Maintenant, LA question est de savoir qui a écrit ce code…
Dans l’idéal, par rapport à ce que nous allons peut-être découvrir en 2012 grâce au satellite Planck, quelle révélation vous ferait fantasmer ?
Nous pensons qu’il y a trois choses importantes à l’horizon. D’une part, le fait que la densité de l’univers est telle qu’elle nous conduit vers un univers courbe, et donc, la preuve que l’univers est rond, que la topologie de l’espace à trois dimensions est sphérique. Deuxième révélation : l’existence de l’énergie noire. On a été les premiers à l’évoquer, parce que c’est le champ qui, à notre avis, fait fluctuer la métrique de l’espace-temps. A partir du moment où l’on entre dans le temps classique, le champ, lui, continue d’exister ; il accélère, il pousse en avant l’espace-temps et provoque cette accélération. Et il reste là, sous la forme d’un champ stellaire. On ne comprend pas grand-chose à tout cela, c’est la raison pour laquelle l’énergie noire reste un mystère entier. En 2012, j’aimerais bien, effectivement, que l’on puisse raccorder ce mystère à ce que nous pensons être un champ de type constante cosmologique. Troisième attente, enfin : nous pensons que l’espace-temps est soumis à l’état KMS. Si c’est le cas, cela veut dire qu’il faudra observer les fluctuations de cette métrique, et qu’elle peut basculer du temps réel vers le temps imaginaire. Comme nous l’affirmons dans notre livre, je pense que c’est indirectement observable et que les différences qui peuvent exister entre les régions denses et les régions non-denses de cet œuf cosmique peuvent s’expliquer par des fluctuations. C’est ici que l’on pourra répondre à la question posée par George Smoot, ainsi que l’astrophysicien et cosmologiste américain John Mather, et même la NASA : d’où viennent ces fluctuations que l’on arrive aujourd’hui à observer ? Selon nous, la réponse est dans la théorie KMS. Nous attendons simplement que celles-ci soient observables. Si cela arrive, nous aurons, nous le croyons, la preuve qu’il existe un état d’information avant un état d’énergie.
Votre livre vient de paraître. Quelles sont les premières réactions ?
Avant tout, en ce qui concerne le public, je note que notre livre s’est installé depuis quelques jours dans la liste des best-sellers. Dans Livres-Hebdo, nous étions listés en quatrième position des meilleures ventes au mois de juin.
Et qu’en dit la communauté scientifique ?
Igor Bogdanoff : Nous n’avons eu, pour l’heure, aucun retour de la communauté scientifique. Jusqu’à présent nous étions taclés de manière très rapide, mais là, rien. Je pense que la présence du préfacier (Robert W. Wilson, ndlr) et des postfaciers (Robert W. Wilson, Jim Peeble et John Mather, ndlr) rend très difficile l’entreprise de démolition de nos contradicteurs habituels. Puisque ces sommités cautionnent notre livre et son contenu.
Quel regard portez-vous sur la communauté scientifique après toutes les attaques que vous avez subies par le passé ?
Il faudrait vous reporter à un article qu’a publié dans une revue universitaire la philosophe des sciences Isabelle Stengers (« Mésaventures du pacte anti-fictionnel », in Mensonge, mauvaise foi, mystification, Annales de l’Institut de Philosophie de l’Université de Bruxelles, Vrin, 2004, ndlr), collaboratrice du prix Nobel Ilya Prigogine. Elle y explique les mécanismes de rejet par la communauté scientifique face à des idées nouvelles et elle montre comment une idée comme la nôtre, qui apparait de façon très inattendue dans le ciel de la recherche en cosmologie, remet en cause un certain nombre de paradigmes, d’idées justement déjà bien installées. Et du coup, cela devient une idée à détruire. Dans ce texte, elle évoque d’ailleurs « l’affaire Bogdanoff » et prend même notre défense (Isabelle Stengers, contactée à ce sujet, n’a pas souhaité répondre à nos questions, affirmant qu’elle « [n’a] jamais défendu les Bogdanoff ; [son] sujet était le mauvais état de la physique, dont leur histoire est un symptôme », ndlr).
Par rapport à vos thèses respectives (deux travaux relatifs au mur de Planck, l’un mathématique, l’autre physique, et à une approche nouvelle du mystère des origines de l’univers, ndlr), il y a eu aussi beaucoup d’attaques, notamment sur la mention « honorable » qui n’en serait pas une…
La vérité c’est que la mention « honorable » avait été négociée à l’avance. Parce que nous sommes des personnalités médiatiques et qu’une autre mention aurait fait jaser le monde scientifique. On s’en fichait complètement de cette histoire de mention, ce qui nous intéressait, c’était de soutenir nos thèses. Mais si on avait su que cette négociation préalable allait déclencher toute cette « affaire », on aurait évité cela, évidemment. Au final, tout cela s’est retourné contre nous : parce que cet accord censé nous mettre à l’abri des critiques a surtout servi à couvrir les membres du jury… Bref, la mention « honorable » est devenue un argument pour dire : « Vous voyez, les Bogdanoff ont fait un boulot absolument nul ». Et c’est complètement déconnecté de la valeur réelle de nos travaux.
Il y a beaucoup de personnes qui vous critiquent mais vous avez aussi, en plus d’une forte popularité auprès des téléspectateurs fans et nostalgiques de Temps X, des inconditionnels, y compris parmi des personnalités connues. Luc Ferry, par exemple…
Luc Ferry nous défend beaucoup. C’est un ami de longue date qui, par ailleurs, était présent lors de notre soutenance de thèse. Il a vu comment tout cela s’est passé.
Grichka Bogdanoff : Parmi les personnes qui nous soutiennent, il y a aussi des physiciens, des mathématiciens, des scientifiques, qui sont très sensibles à notre approche et qui comprennent ce que nous voulons dire. Ce ne sont bien évidemment pas des gens très connus, mais pour nous ils sont déterminants.
Vous avez des origines aristocratiques (Igor s’est par ailleurs marié récemment à Amélie de Bourbon-Parme, héritière de la famille royale française, ndlr), un goût pour le dandysme (nous avions aperçu Grichka lors d’une soirée organisée par Lou Ferreira, cofondatrice de la branche française de la Oscar Wilde Society, en l’honneur de Daniel Salvator Schiffer, auteur de Le Dandysme, dernier éclat d’héroïsme – cf. Chronic’art #65, ndlr) et la science-fiction des années 60. Vous semblez donc à la fois nostalgiques tout autant que tournés vers l’avenir via votre démarche prospective. Est-ce que le présent, ou, pour extrapoler, le monde d’aujourd’hui, vous pose problème ?
Intéressant. Nietzsche disait que « l’homme de l’avenir est celui qui a la plus longue mémoire ». Voilà pourquoi nous nous trouvons entre deux pôles : le pôle du passé et le pôle du futur. On pourrait dire aussi que « nous aimons nous souvenir de l’avenir ». Cela signifie que nous avons un sentiment dynamique à propos de l’histoire, car nous ne pensons pas que « le paradis terrestre est où je suis », comme le dit Voltaire ; nous pensons qu’il se situe à l’aune d’un horizon, qui peut être très lointain dans le passé mais qui peut aussi être très lointain dans l’avenir. Bref, nous avons une nostalgie de l’avenir comme certains ont une nostalgie de l’absolu ou du passé.
Igor Bogdanoff : On le dit souvent, notamment dans nos émissions télé : « n’oubliez jamais l’avenir ». En disant cela, nous pensons sincèrement qu’en 2400 ou 2500, il n’y aura pas que du méconnaissable. Il y aura aussi beaucoup de traces du passé. Les pyramides, par exemple, seront toujours là et c’est fascinant parce que beaucoup de gens qui redoutent l’avenir ne seront finalement jamais totalement dépaysés. En ce sens, nous sommes proches, dans l’idée du futur, de personnalités légendaires que nous avions reçues à l’époque dans Temps X, comme par exemple George Lucas, que nous connaissons bien. Vous ne le savez peut-être pas, mais on a failli jouer dans Star Wars : la menace fantôme…
Oh, vraiment ? A ce propos, on a aussi entendu dire que les frères Wachowski vous devaient beaucoup en ce qui concerne l’existence de Matrix…
Grichka Bogdanoff : Tout à fait ! On sait que les frères Wachowski ont lu notre roman, La Mémoire double, paru en 1985 (un roman écrit à partir d’une nouvelle publiée en 1981 et qui s’appelait Psychogramme). Ils l’ont trouvé formidable mais ils n’avaient pas les moyens, à l’époque, de le transposer au cinéma. On connaît la suite, il est évident qu’ils s’en sont largement inspirés pour réaliser Matrix. Nous avons aussi connu Steve Jobs (Apple). Ces gens-là, aujourd’hui reconnus, n’étaient à l’époque que de jeunes chercheurs ou entrepreneurs. En 1985, Jobs nous disait déjà qu’un jour, chacun aurait son propre téléphone mobile. Nous travaillions à ce moment-là avec ce génie, docteur en mathématiques, qu’est François Mizzi, qui éditait une revue qui s’appelait Nano-ordinateur. Dès les années 80, il avait une vision de l’avenir qui correspond complètement à notre présent. En 1984, nous l’avions rencontré et il nous avait convaincu de la pertinence d’un objet personnel de communication tactile, soit l’iPhone ou l’iPad que nous connaissons aujourd’hui. Sur le plateau de Temps X, nous parlions de cela à Jobs, qui trouvait cela extraordinaire. Par la suite, ils se sont vus avec Mizzi, et il fort est probable que cela ait engendré une réflexion dans la tête du Président d’Apple…
Vous parlez souvent dans les médias, pour vous caractériser, de « multividus ». Quel est ce concept ?
L’individu est un personnage unique, alors que le « multividu » est un personnage qui unifie deux entités différentes. Voilà comment nous nous définissons : nous sommes deux composantes qui convergent vers des actions communes. La gémellité induit un phénomène assez étrange ; en ce qui nous concerne, il y a Igor, il y a Grichka mais il y a aussi les frères Bogdanoff, qui est une entité à part entière. C’est d’ailleurs à nous trois que vous vous adressez actuellement.
Marrant. Autre thème de prédilection en ce qui vous concerne : la longévité…
Igor Bogdanoff : C’est passionnant. Nous sommes en train de travailler dessus de manière assez précise avec un expert biologiste, qui s’intéresse aux cellules-souches : le docteur Christophe de Jaeger, auteur, notamment, du « Que sais-je » sur la gérontologie. Il a une centaine de publications à son actif et il est dans toutes les académies.
Grichka Bogdanoff : Dans nos discussions, on a introduit une devise qui est intéressante et qui dit, en substance : « Aujourd’hui, vieux à 80 ans, demain, jeune à 120 ! ».
On dit que vous êtes nés en 1949 et donc que vous auriez 61 ans. Or, vous ne les paraissez pas du tout.
Igor Bogdanoff : C’est très flou… C’est moi qui l’ai affirmé dans l’émission Sept à huit diffusée sur TF1 en mai dernier. En réalité, c’était une boutade.
Dans cette interview, justement, vous affirmiez avoir une mutation génétique qui aurait entraîné des transformations physiques mais aussi un ralentissement de votre vieillissement.
Pour vous dire la vérité, à propos de ce reportage, nous étions censés parler de notre livre, Le Visage de Dieu. Nous l’avons fait, pendant à peu près une heure et demie. A la fin, les « journalistes » proposent que nous coupions les caméras pour discuter pendant un petit quart d’heure de tout et de rien, en fait de nous, mais sous l’angle personnel ou people. C’est malheureusement cette séquence-là qui a été diffusée. Dans l’interview passée sur TF1, donc, nous ne parlons jamais du livre.
Mais vous qui connaissez un peu les rouages de la télé, vous ne vous y attendiez pas ?
Non, nous avons été piégés. On a passé deux heures avec eux et ce qui est resté, c’est simplement l’aspect complètement folklorique des choses. Vous savez, on fait beaucoup confiance à notre attachée de presse quand on sort un bouquin. On a cru que Sept à huit, une émission d’information a priori, pourrait s’intéresser au fond des choses… Erreur.
C’est vrai que c’était assez surprenant de vous voir, à la sortie de votre livre, gratter la guitare et deviser devant votre cheminée…
Si on avait su, évidemment, on aurait refusé de le faire. Aujourd’hui, notre société est plus préoccupée par la forme que par le fond, et nous avons à nouveau été victimes de cela.
Sur votre page Wikipedia, il est également noté que vous êtes nés en 1949. Là encore, il s’agit d’une blague ?
Notre page Wikipedia est truffée d’erreurs en tous genres. Il est écrit que nous sommes nés à Saint Lary dans les Hautes Pyrénées (alors que nous sommes nés dans le Gers), il est écrit que j’ai épousé Amélie de Bourbon-Parme en troisième noce (alors que je n’ai été marié qu’une fois), etc. Bref, en l’état, cet article ne ressemble à rien, en tous cas à rien de ce que nous connaissons de notre biographie réelle, de nos activités scientifiques, totalement défigurées. Il y a quelques années, nous avons tenté d’intervenir afin de remettre un peu d’ordre là-dedans mais nous avons été bloqués par les « administrateurs » (en fait des utilisateurs anonymes qui passent leurs journées sur Wikipedia et, outre le fait qu’ils se considèrent comme les gardiens de la vérité, ne tolèrent pas que le sujet d’un article puisse intervenir sur sa propre bio au prétexte qu’il s’agirait alors d’une opinion biaisée). C’est la raison pour laquelle le « projet Wikipedia » me semble profondément pervers en ce qui concerne les articles consacrés aux personnes : planqués derrière leurs écrans, les « wikipediens » anonymes transforment certains articles en terrains de chasse où tous les coups tordus sont permis. Dans le fond, tout cela n’est pas très grave : les lecteurs attentifs sentent bien que cet article est suspect et qu’il ne faut accorder qu’une importance limitée à Wikipedia.
En même temps, admettez que vous vous faîtes joyeusement plaisir en entretenant, voire même parfois en alimentant le mystère. Comme c’est le cas à propos de votre âge ou de votre aspect physique…
J’admets tout à fait que nous pouvons paraître étranges, et que cela ne nous déplait pas. C’est un peu comme David Vincent dans Les Envahisseurs, qui ne savait pas que le cauchemar avait déjà commencé (rires).
Propos recueillis par et
Le Visage de Dieu, d’Igor et Grichka Bogdanov
(Grasset)