A l’heure où jj me rendent leurs réponses (pour la sorite de leur album n°3), je ne trouve qu’une seule autre interview d’eux qui circule de blogs en Tumblr, où ils jouent clairement sur les mots, se passent la balle d’un membre à l’autre sans préciser lequel, et esquivent nos idioties de journaliste (tout comme le faisaient déjà The Tough Alliance avec « Pitchfork »). J’avais très peur qu’ils m’envoient balader, leur label m’ayant déjà taclé après une première série d’interrogations très simples (« Sincerely Yours ne répond généralement pas à ce genre de questions… Nous les soulevons, juste »). Mais à la deuxième mi-temps, ils s’en sont finalement tenus au jeu qui m’a toujours fasciné chez eux : dévoiler quelques vérités avec une évidence déconcertante et me renvoyer au gai savoir, avec tout l’amour que je leur connais.

Chronic’art : Dans Ecce Homo, Nietzsche disait écrire avec son sang, et moi j’ai cru comprendre qu’il voulait dire qu’on ne peut distinguer le poète de la personne réelle. Quand votre premier disque n°1 est sorti, on pouvait lire la note de pochette suivante « a lot of blood was sacrificed to make this happen ». Toutefois, on ne sait pas à qui appartient le sang sur vos pochettes, ni ce qu’il s’est vraiment passé. Pouvez-vous nous en dire plus ?

jj : C’est le sang de Joakim, il s’est sacrifié pour l’équipe. La citation a beaucoup à voir avec la douleur qui vous fait commettre des choses stupides pour en réchapper. Comme se couper pour ne pas affronter la réalité, alors que ce sont tes démons qui te pourchassent. Le sang et les cicatrices sont le résultat de ce qu’on traverse. Et si on y a survécu, c’est au nom de ce en quoi on a toujours cru. Ca paraît lâche et simple comme ça, mais souvent, on cherche le chemin le plus court quand tout est dur. C’est quelque chose à soi qui va au-delà de la musique. Quelque chose de palpable, et induplicable.

Mon idée de jj, c’est la capture parfaite de tout ce que The Tough Alliance a pu rechercher à travers leur musique (la pureté, la liberté), comme si vous étiez leur avatar ultime. C’est quoi votre relation avec eux ?

C’est si gentiment et joliment dit. Nous partageons énormément, à plusieurs niveaux, sans aucun doute. Nous sommes devenus de vrais amis, et ils nous ont apporté le meilleur des soutiens dans tout ce qu’on a traversé, depuis la solitude de mon chalet à Vallentuna aux voyages à travers le monde, quand on s’expose soi et tout ce qu’on fait, tout ce qu’on ressent et tout ce qu’on est. C’est si douloureux de ne pas savoir d’où on vient, et si important d’avoir quelqu’un qui nous aide comme repère, et comprend combien la réalité est délicate parfois, quand même.

Parfois aussi, on dirait que vous prolongez ce que Saint Etienne faisait il y a vingt ans (les mélodies plongées dans la reverb, le voice-over, le mélange assez libre des genres). Erlend Øye disait à ce sujet : « Vous savez comment sont les Suédois – ils vont chercher leur musique dans le passé et la rejouent mieux qu’elle n’a jamais jouée ». C’est quelque chose qui vous semble juste ?

Je n’ai jamais écouté Saint Etienne, malheureusement. Je crois comprendre ce qu’il veut dire cependant, et il m’arrive aussi de ressentir les choses de la même façon quand j’écoute de la musique, quand j’entends ce que je voudrais entendre si clairement – qu’il s’agisse d’un artiste ou d’un style de musique précis. Mais souvent, ce n’est pas bon du tout, parce que ça ne vient pas du cœur. La pensée passe avant la musique, et celle-ci devient immédiatement facile à comprendre, ennuyeuse et irréelle. La musique doit être quelque chose que l’on fait sans savoir pourquoi, pas quelque chose qu’on trouve amusant ou qu’on veut faire. Je ne suis pas très à l’aise avec l’idée que l’on ait saisi l’air du temps, plutôt que d’avoir créé nous-mêmes ce à quoi nous aspirions et avions besoin pour survivre – ce qui ne peut clairement pas nous être venu de quelqu’un d’autre.
« Celui qui se sait profond s’efforce d’être clair ; celui qui voudrait sembler profond à la foule s’efforce d’être obscur. Car la foule tient pour profond tout ce dont elle ne peut pas voir le fond : elle est si craintive, elle a si peur de se noyer !

Bien avant votre existence, les artistes du label Sincerely Yours semblaient partager une attitude commune vis-à-vis du spectacle (presque situationniste), comme s’ils refusaient tout ce qui avait l’air trop important. Les concerts se tiennent souvent dans une atmosphère intime, sont joués un peu nonchalamment et rarement en dehors du pays. Si on excepte The Tough Alliance, vous êtes les premiers je crois à passer la frontière pour aller jouer au dehors. Qu’est-ce qui vous a motivé ?

Ce doit être parce qu’on nous a fait une offre que ne pouvions refuser, qu’en penses-tu ? Tout ce monde et ces gens qui nous proposent de faire ça nous traitent si gentiment qu’on a nous-mêmes du mal à y croire. Ils veulent nous voir jouer dans le monde entier, et nous évidemment, voulons jouer pour le monde entier. Imagine quelqu’un qui t’invite pour la personne que tu es, voudrait en savoir davantage sur toi, voudrait te voir, te toucher et t’entendre. C’est complètement incroyable que ça puisse être comme ça, tu ne penses pas ? Il est rare de nous voir renoncer à l’aventure et à l’amour, ce pourquoi nous sommes là.

Un peu comme vos confrères du label Sincerely Yours, vous scandez avec fierté vos origines suédoises dans vos paroles. Ceci dit, vous chantez en anglais, sans jamais avoir accordé une interview dans cette langue. Comment vous gérez l’équilibre entre l’universel et le particulier ?

J’ignorais que nous étions fiers d’être suédois. Nous donnons des interviews en anglais aussi souvent que possible. Je ne sais pas d’où tu tiens cette information. Nous ne tranchons jamais entre le spécifique et l’universel, nous faisons vraiment de notre mieux mais ça ne marche pas, bordel.

Du peu que j’ai pu observer (les concerts de The Embassy et Nordpolen, quelques vidéos sur Youtube), on dirait qu’un grand nombre de groupes de Göteborg partagent la même approche en live – qu’il s’agisse de leur usage décomplexé de séquences préenregistrées, de la courte durée du concert, des musiciens qui dansent et boivent sur scène plus qu’ils ne jouent, ou du public restreint qui chante plus fort qu’un stade. Comment vous l’expliqueriez ?

Quand une personne joue et présente seule sur scène des choses qu’elle a vécu toute sa vie, avec sa part de rêves intimes, de secrets, de travail, devant une centaine voire des milliers de personnes qu’elle n’a jamais rencontré, tout cela peut rendre très confus. Malgré la confiance, la conviction et la passion pour ce qu’on fait, on ne comprend pas bien à l’heure de se transmettre, pourquoi faut-il monter sur scène, qui est-on vraiment ou plutôt, qui étions-nous vraiment et quelle idée les gens ont de nous au passé, quand eux sont là pour un album qu’on a enregistré il y a des années. Ou bien, est-ce seulement pour l’homme qui a créé une œuvre d’art ? Je crois que la chose redevient exactement comme au moment où nous avons rassemblé nos maigres ressources pour réaliser ce rêve : seul ou en groupe, extrêmement difficile à manier. Mais nous nous efforçons, dans la limite des moyens dont nous disposons, de confondre notre idée de la soirée avec l’urgence et l’humeur du temps présent, pour créer une situation vraie, réelle et sincère entre tous les gens qui nous entourent. Les artistes que j’estime plus que tout sont ceux qui puisent en leurs ressources propres pour tenter de créer quelque chose de réel, à l’instant même où nous sommes réunis tous ensembles pour célébrer les sentiments que nous avons les uns pour les autres, comme des êtres humains. Je ne me vois pas faire ce qui est attendu ou éprouvé, sinon, c’est tout de suite théâtre, comme dans plein d’autres cas. Malheureusement, il se trouve trop souvent encore un écart entre la personne sur scène et ceux qui la regardent, je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce qu’il y en a un qui est payé pour être là tandis que les autres paient pour le voir. J’ai toutefois une vision très claire de comment cette rencontre s’opérera dans le futur, même si la technique pour la voir prendre forme n’a pas encore été développée. Mais bientôt, vous verrez comme nous le paradis jj in real life. Tout le monde sera jj, nous planerons sur les nuages ensembles dans un autre monde et on ne comprendra pas comment les gens faisaient autrefois. Bien que les albums n°2 et n°3 soient proches en termes de temps, il est étonnant d’en observer les différences de ton, le dernier me paraissant plus froid et plus épique.

Etant donné l’importance de l’hiver en Suède, peut-on attribuer ça au changement de saison ?

C’est fort possible mais il me semble que la nature est plus forte que tout le reste. Elle fait ce que bon lui semble avec ce qui se trouve en son chemin, qu’il s’agisse d’un album ou d’une île caribéenne.

Lil Wayne apparaît souvent comme un membre fantôme chez jj (ecstasy, my way, pure shores, my life). Avez-vous essayé d’entrer en relation avec lui ?

Nous essayons de le contacter de la même façon que nous essayons d’entrer en relation avec le monde entier, avec notre musique, même si évidemment, il devrait le prendre plus personnellement en entendant celle-ci. Nous ne l’avions pas imaginé aussi présent avant que tu nous mentionnes les quatre chansons – ce qui finalement fait beaucoup – et où il est ce qu’il est… Il n’y a pas de mot pour décrire cet homme. Free weezy !

Etant donné le nombre infini de références aux substances illicites chez jj, je me demandais : vous prenez de la drogue quand vous faites de la musique ?

Il arrive que nous soyons drogués avec des drogues quand nous la faisons. Mais pour moi, c’est la musique qui est la vraie drogue, notre propre drogue. Et on se drogue avec, parce qu’on est jeune et qu’on a juste envie de planer.

Et si je cherche de l’ecstasy et de la dance music du début des années 90’s dans Göteborg, je vais où ?

SY HQ.

Propos recueillis par – traduction : Julia Boguslaw et Mathilda Ersa

Lire notre chronique de n°2.1 et n°3