Producteur de « Forza motorsport » 3, LE peep show ludique de cet hiver pour les amateurs de course automobile, le sémillant Dan Greenwalt revient avec nous sur sa passion pour les sports mécaniques, les perspectives communautaires ouvertes au genre et son message à destination des eco-warriors. Rencontre avec un affable obsédé de la carlingue.
Une conférence de presse pour le lancement de Forza motorsport 3, c’est forcément une mécanique bien huilée, à la hauteur de l’enjeu : le coude à coude avec Gran turismo 5, licence phare du concurrent direct, s’annonce particulièrement disputé, et il risque d’y avoir de la tôle froissée. Microsoft a mis les petits plats dans les grands pour essayer de mettre la presse de son côté : petits fours, belles voitures, pilote d’endurance en cosplay de lui-même, myriade d’attachés de presse à la fois hyper pros et ultra stressés. Et puis Dan Greenawalt. Quand on le croise fumant sa cigarette avant le show, le micro au cou, bel homme, barbe parfaitement taillée et élégance sport, on se rend bien compte qu’il a quelque chose de spécial. Si on n’en était pas convaincu, il suffirait de lire son palmarès : producteur sur tous les Project Gotham racing et les Forza motorsports, soit respectivement l’arcade la plus exigeante, et le moteur de conduite le plus solide de ces dernières années, on fait pire dans le genre. Véritable piston du jeu de bagnole chez Microsoft, Greenawalt est un orateur de talent ; quand sa présentation tend à s’enliser dans l’exposé scolaire des points forts de la licence, il se rattrape par un mot d’esprit. Il parle beaucoup chiffres, mais ne cesse de s’en excuser, et de revenir à l’expérience du joueur. Si l’entendre marteler le slogan « faire des joueurs des amateurs de voitures, et des amateurs de voiture des joueurs » peut lasser, on lui en concède la paternité. Greenawalt parle beaucoup de passion, il évoque sa vision d’un jeu de course œcuménique, qui satisferait le mordu autant que l’enfant de six ans… Il y a évidemment quelque chose de mégalomane chez le producteur, qui affirme crânement avoir produit la meilleure simulation de la génération, et qui se dit prêt à le prouver. A le regarder sourire, un brin féroce, pour l’objectif des photographes, on se dit que pour constituer et souder l’équipe Turn 10 lors du développement des épisodes précédents de Forza, il n’a pas hésité à casser des oeufs. Malgré tout, difficile de ne pas se faire avoir au charme. Sous le formatage de l’événement commercial, passe dans le discours un peu d’humanité : plutôt sympathique ce mordu de physique et de voitures, qui évoque l’odeur moisie de sa première voiture d’occasion pour vendre son énorme peep show automobile. Entretien entre les vrombissements de la démo, en attendant de pouvoir vérifier si le produit fini est à la hauteur de nos attentes.
Chronic’art : Vous travaillez pour Microsoft, vous produisez des suites annuelles ou biannuelles de produits à succès… C’est comme si vous produisiez Office en fait ?
Dan Greenawalt : Non, pour moi ce n’est pas pareil, parce que pour ce jeu j’ai une vision, je veux réunir les gens ensemble… Le différence, c’est la passion… j’utilise Office tous les jours… Pourtant je ne sens pas de passion pour Office. Mais je suis passionné par les voitures, et mon travail consiste à traduire ma passion dans quelque chose qui va rendre les autres passionnés eux aussi. En plus, je travaille dans le divertissement. Les gens font des films, ils en font tous les ans, ils ne sont pas fatigués de faire des films, parce qu’ils veulent transmettre leur vision, raconter une histoire.
A propos de la construction d’une communauté, est-ce que vous regardez des sites comme Facebook… ?
Oh, oui, bien sûr.
Qu’en retirez vous ?
Mon équipe fait très attention aux petits détails. Vous savez, nous jouons à World of Warcraft, nous utilisons eBay, Yahoo store, et bien sûr Facebook et Twitter, et nous regardons comment se constituent les communautés… Ce n’est pas qu’une question d’outils, nous nous intéressons au bouche à oreille, à son fonctionnement, comment trouver les gens influents, comment les récompenser, les amuser, diffuser leur travail… Quand on collecte toutes ces observations, on obtient un modèle inédit pour le jeu vidéo, mais ce modèle les gens le connaissent car ces sites l’utilisent. L’innovation ne vient pas de l’observation des concurrents. Si vous faites des chocolats, vous ne passez pas votre temps à regarder ce que font les autres chocolatiers, l’innovation c’est ajouter du beurre de cacahuètes ; il faut regarder ailleurs, et se demander : « comment je peux rendre mon produit meilleur, non pas en regardant les autres, mais en allant chercher des expériences totalement différentes, et en essayant de les mixer pour inventer une nouvelle recette ? ».
Bon, vous êtes un adulte aujourd’hui, et vous jouez toujours aux petites voitures… Ca vous pose un problème de l’avouer aux gens ?
Oh non, je pense que je suis plus fier de mon travail que si je disais aux gens que je travaille sur un jeu dans lequel on abat des prostituées d’une balle dans la tête (rires). Bien sûr, ce serait un jeu tout de même un peu plus « adulte » ! Et pourtant, je peux parler à mes amis et à ma famille de ce que je fais, en fait ils aiment vraiment Forza parce qu’eux aussi aiment aussi les voitures.
Vous avez travaillé sur Project Gotham racing aussi, n’est-ce pas ?
Oui.
J’ai passé beaucoup plus de temps sur Forza 2 que sur PGR 4, mais tout de même, PGR est plus sexy, non ? C’est voulu ?
Vous avez besoin de passer plus de temps sur Forza 3 ! Il y a eu une énorme évolution, une énorme révolution entre Forza 2 et Forza 3. On ajouté beaucoup de nouveautés, que personne ne semble avoir remarqué… Mais quand on joue au jeu, il y a plus d’animations, plus de mouvements de caméra, de nouveaux éclairages, des progrès d’interface…
Quand vous étiez plus jeune, il y a un jeu de voiture que vous auriez aimé produire ?
Je ne jouais pas beaucoup aux jeux vidéo quand j’étais gamin, je jouais un peu en arcade, à Street fighter 2 par exemple, mais je n’étais pas vraiment un gamer. En fait, je n’aimais pas les jeux de course. Pour vous dire la vérité, je n’aime toujours pas tant que ça les jeux de course… J’aime les voitures. La plupart des jeux de voiture sont focalisés sur la course. Mais ils ne parlent pas des voitures. Moi ce que j’aime, ce sont les gens, les communautés, la passion commune pour les voitures… Pour moi, la course n’est qu’un moyen de faire interagir toutes ces choses. C’est sans doute pour cela que beaucoup de nos concurrents ne peuvent pas se mesurer à nous : ils pensent que pour battre Forza, il faut faire un meilleur jeu de course… Ok, ils peuvent essayer, ils ne vont pas y arriver, mais même s’ils essayent, ils ne vont pas retrouver l’essence de Forza : la passion des voitures.
En quelque sorte vous bossez dans le porno automobile (« car porn ») ?
Oui, c’est une vieille blague aux USA, on appelle « car porn » les brochures qu’on reçoit dans les boîtes aux lettres pour faire la promotion de nouvelles voitures. Elles sont dans une enveloppe opaque, comme pour les revues pornos. Alors évidemment, Forza est comme ça, Gran turismo est comme ça, de même que la plupart des jeux de course…
Je n’aime pas particulièrement les voitures, je n’ai même pas le permis, et pourtant j’ai aimé Forza 2… Imaginez que vous deviez vendre Forza 3 à un ecowarrior intégriste… Que lui diriez vous ?
Eh bien, pour commencer… C’est un peu comme la chasse virtuelle, dans laquelle on ne tue pas les animaux. Si on fait une course dans FM, on n’utilise pas d’essence. Alors, si on imagine où ça pourrait mener, on pourrait envisager que la course automobile devienne virtuelle, qu’on puisse courir sans dépenser la moindre goutte d’essence… Regardez, des pilotes professionnels comme Stéphane Sarrazin (pilote Peugeot à l’éloquence virenquesque, faire-valoir de la campagne promotionnelle française, ndlr) courent sur Forza… La communauté crée des saisons, il y a de très bons pilotes sur Forza, c’est super à regarder, qui sait, cela sera peut-être retransmis à la télé à l’avenir, ça va peut-être intéresser le grand public…
Vous semblez vous intéresser à l’e-sport…
Non, non, je réponds juste à votre question. Il y a un potentiel, on pourrait remplacer beaucoup de sports mécaniques. Mais plus que tout, ça me rappelle quelque chose qu’un journaliste Australien me demandait… Il disait que les jeux de course incitent les gens à conduire comme des cinglés. Mais je pense que c’est le contraire, vous expulsez tout ça dans le jeu, et vous conduisez prudemment dans la vraie vie. Alors être capable de conduire une Ferrari, vous n’allez jamais en conduire une dans la vraie vie… et puis même si tu en avais une, tu ne la conduirais pas comme ça. Parce que tu vas la bousiller. Tu vas dépenser plein d’essence, et tu vas la péter. Alors que dans le jeu, tu as une manière saine, sûre, et amusante de faire sortir tout ça.
Propos recueillis par
Forza motorsport 3 – Xbox 360
(Turn 10 / Microsoft games – Sortie : 23 octobre 2009)